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Étymologies en vrac 22

L'arobase et son symbole, histoire des moines aux twittos…

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Tandis que bienheureusement pullulent les arobases, tant sur les réseaux sociaux que dans les boîtes aux lettres électroniques, penchons-nous, le temps d'un instant (pas plus) sur l'origine de son nom et de sa graphie intrigants à souhait…
En 1971, le génial Ray Tomlinson, informaticien lambda de de son époque, met en place un système extraordinaire qui frappera la suivante : l'e-mail. Son principe, vous le connaissez : l'e-mail à comme but de partager des informations, des interrogations et des commentaires sans contact physique et ce avec une rapidité légendaire. Cependant, se dresse sur son passage un obstacle face auquel il était destiné à lutter, bien qu'il eût le plus longtemps atermoyé son altercation — et pourtant un élément indispensable — : la technique de notation des adresses, ou plutôt le format des adresses… Mais comment séparer le nom de l'utilisateur du nom du service ? On raconte que, perdu dans d'abyssales réflexions, il se mit alors machinalement à glisser ses doigts le long des touches métalliques de son clavier, jusqu'à ce qu'il atteignît le Saint-Graal… « J’ai simplement passé en revue le clavier pour en trouver un qui n’apparaisse dans aucun nom propre, afin de ne pas créer de confusion. » L'arobase ! Qui a en plus le don de se dire « at » en anglais, ce qui insiste sur l'appartenance de l'adresse à telle ou telle firme. On considéra alors que l'arobase venait de renaître de ses cendres, et Ray Tomlinson se vanta jusqu'au dernier moment d'avoir « sauvé » ce signe typographique.
Tout pourrait s'arrêter là. Les adresses électroniques fractionnées par un signe fort mélodieux, l'arobase, un monde interconnecté de partout, où chacun peut communiquer avec son prochain, un Ray Tomlinson enterré ou incinéré, mais gisant en paix quelque part en outre-tombe, et cætera… Mais ce serait mal connaître les circonvolutions de l'histoire et… de la linguistique qui a un grand rôle à jouer dans cette épineuse affaire… Et puis, il y a bien un truc qui cloche : mais bon sang, que foutait l'arobase sur les claviers si elle était agonisante ? Et c'est là que l'on se rend compte que c'est beaucoup, beaucoup plus compliqué que l'on ne le croirait…
En fait, si l'arobase était déjà présente sur les claviers à cette époque, c'est qu'elle avait déjà connu un âge d'or au XIXème siècle : en effet, on l'utilisait pour remplacer la préposition « at » (« à » en français) dans des expressions telles que « 3 books @ $5 », raccourci emprunté pour « 3 books at $5 ». Les claviers ne tardèrent pas à faire leur apparition, que ce soit entre les mains des comptables ou les différentes variétés de légumes, chez les primeurs et les marchands.
Au-delà du XIXème siècle, le brouillard s'intensifie, se rigidifie. On retrouve des traces de ce symbole dans les possessions de l'Espagne et du Portugal, où l'arrobe (symbolisée @) est une unité de mesure équivalent à onze kilogrammes et cinq cents grammes environ. C'est d'ailleurs une des premières hypothèses d'étymologie pour le nom arobase : l'arabe « ar-rouba » (« quart », l'arrobe étant le quart du quintal en livres, donc vingt-cinq livres au total). En janvier 2013, le professeur de paléographie américain Marc Smith réalise une vidéo (disponible sur les principales plateformes de streaming) de plus d'une heure dans laquelle il analyse en profondeur ce signe de ponctuation si nébuleux, et en tire une conclusion qui ajoute de l'eau à notre moulin : l'arobase (je parle du symbole) de mesure et celle du commerce américain n'auraient aucun rapport historique ; la première semblant totalement hasardeuse, la seconde une ligature entre le A et son accent grave (oui, encore un cas où les Anglophones piquent un mot au français…)
Remontons encore un peu le temps pour essayer de déterminer la date d'apparition de ce petit escargot si problématique et son utilité à cette époque. Selon de nombreux historiens, il serait apparu au VIème siècle en latin et serait une fusion entre les lettres A et D, formant à elles deux la préposition « ad » (« à »). Cependant, une ribambelle d'autres experts contestent cette hypothèse : on n'en retrouve aucune trace avant le VIIème siècle. Puis, pendant près de cinq cents ans, on n'en entend plus parler du tout. Elle réapparaît visiblement au XIIème siècle pour synthétiser l'amphore (« anfora » en italien), une autre unité de mesure. Ce signe typographique ne serait alors qu'un A stylisé à la florentine.
Quant à l'appellation arobase, on est tous d'accord pour dire qu'il s'agit d'une mauvaise dégénérescence du terme arrobe, et c'est là que la question se pose… Sur Internet, fleurit une théorie attirante au premier regard, mais trop « naïve » face à la réalité réelle des choses. Selon celle-ci, arrobe serait un collage grossier de l'expression A-rond-bas ; le A étant en effet rond (plus que triangulaire, en tout cas), et placé en bas de casse. Mais, de nombreux érudits et experts du milieu ont expliqué que cette appellation n'a jamais été utilisée, et il faut en effet convenir qu'elle est très bizarre. Jean-Loup Chiflet, dans Oxymore mon amour !, son dictionnaire amoureux de la langue française, penche, quant à lui, vers une union de la lettre A (toujours là, celle-là), et de la lettre grecque P (« rhô »), mais j'avoue que j'ai du mal à voir le rhô et le rapport entre ces deux lurons.
Franchement, nous sommes, nous, Francophones, amateurs de casse-tête. Dans toutes les autres langues, l'origine du nom de l'@ est claire, nette et sans secret ; car, dans la majorité de ces idiomes, on utilise de chouettes métaphores, comme escargot (en ukrainien (« равлик », « ravlyk »), italien (« chiocciola »), espéranto (« heliko »), catalan (« caragol »)…), queue de singe, ver, botifarra, petit canard, oreille d'éléphant, petite souris, et cætera… Et dire que l'on relève quand même huit variantes d'arobase, et que ni l'usage ni l'Académie n'a accepté de trancher entre le genre masculin et le genre féminin… Heureux sont les Anglophones d'avoir un nom si facile et sans équivoque…

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