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Cinq jeux de phrases

écriture

Quoi de plus amusant, quand on s'ennuie, surtout si on a un penchant, un talent caché pour l'écriture insolite, que d'écrire des textes pleins de "contraintes" : un texte sans e, un texte qui se lit dans les deux sens, un texte qui fait la langue se fourcher... Sachez bien que vous n'êtes pas le seul. De nombreux écrivains se sont pliés au jeu ; le plus coriace d'entre eux étant Georges Perec... Et sachez aussi que chaque figure a un nom. Alors La Peinture des mots s'est penché sur la question et a essayé à son tour...

Un article écrit par La Peinture des mots

Commençons par le pangramme. Peut-être que certains connaissent le principe. Le pangramme est une phrase qui contient toutes les lettres de l'alphabet. Le plus célèbre : "Voix ambiguë qui, au cœur du zéphyr, préfère les jattes de kiwi". Certes, cette phrase inventé par l'entreprise Microsoft n'a aucun sens mais contient toutes les lettres de A à Z. Il contient même certaines variantes accentuées (ë, é, è, œ...). La Peinture des mots a créé un petit slogan publicitaire (précision : pas de placement pour Wix, juste le fait que cette marque contienne un w et un x) : "Venez feuilleter La peinture des mots, un blog de Wix déjanté, kitsch et qui se rêve tord-boyautant !" Surprenant, non ?

 

Cet exercice de style n'est pas très compliqué, surtout si l'on n'ajoute pas la contrainte de la longueur. Car il existe une variante, le pangramme parfait. Pour en créer un, il faut réunir trois conditions : il doit être hétéroconsonnantique, c'est-à-dire que chaque consonne n'y est utilisé plus d'une fois, il ne doit contenir aucune lettre accentuée, ligature ou autre fioriture et enfin, doit être le plus court possible. L'heureux élu palmarès de la célébrité compte trente-sept lettres, on ne connaît pas son auteur, il s'agit de : "Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume". Quelle subtilité ! Les lettres les plus rares (z, x, j...) coulent très naturellement et cette phrase très simple remplit toutes les conditions. Éric Angelini est un des seuls hommes à avoir réussi le même Voyez le brick géant que j'examine près du wharf". Deux défauts : la phrase est nettement moins naturelle et contient un é et un è. Quant à nous, nous avons essayé, en vain. Impossible de réaliser un slogan publicitaire parfait.

"Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume" est quasiment unique en son genre. Plusieurs variantes existent. Par exemple : "Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume sur son île intérieure, à côté de l'alcôve ovoïde, où les bûches se consument dans l'âtre, ce qui lui permet de penser à la cænogénèse de l'être dont il est question dans la cause ambiguë entendue à Moÿ, dans un capharnaüm qui, pense-t-il, diminue çà et là la qualité de son œuvre." Moins facile, mais intéressant. Pourquoi ? Car, en plus de contenir les vingt-six lettres de l'alphabet simple, il contient toutes les variantes de lettres (é, ç, à, ÿ...) Gilles Esposito-Farèse réussit à en créer un encore plus court : Dès Noël où un zéphyr haï me vêt de glaçons würmiens je dîne d’exquis rôtis de bœuf au kir à l’aÿ d’âge mûr & cætera !" Toujours aussi impressionnant.

Passons maintenant au tautogramme. Du grec "tauto" (le même) et "gramma" (lettre), ce jeu de phrase consiste à écrire un texte dont tous les mots commencent par la même lettre. Le très doué Georges Perec en écrivit même une longue rédaction. En voici un extrait : "Ca commença comme ça : certaines calomnies circulaient concernant cinq conseillers civils coloniaux : contrats commerciaux complaisamment conclus, collaborateurs congédiés, comptabilités complexes camouflant certains corruptions crapuleuses, chantages comminatoires, concussions classiques…" Vous avez remarqué que tous les mots, sans exception, commencent par la lettre c. Voici le nouveau slogan de La Peinture des mots : "Vous, venez voir votre voisinage velouté via votre voyage verglacé vers Varenne !" (Cette phrase n'a effectivement rien à voir avec ce site, mais bon...)

Existe aussi le tautogramme progressif. Pour en réaliser un, il suffit de choisir une, deux, trois ou plus de lettres qui se suivent dans l'alphabet, par exemple les lettres L, M et N et de réaliser une phrase dont les mots commenceront respectivement par L, puis M, puis N, puis de nouveau L etc. Exemple écrit par un oulipien : "La mémoire, non linéaire mais nébuleuse, largement morcelée, naturellement locale. Mais nécessaire. Lumière, mathématiques, nouvelle…"

Le troisième jeu de phrase est un peu à part. Il s'agit du portrait alphabétique dont le nom parle de lui-même. Voici donc, le portrait de La Peinture des mots : "animé, bénéfique, cosmopolite, décalé, efficace, fier, gai, humoristique, inimaginable, juteux, khédival, lettré, melliflue, nonchalant, oulipien, pacifiste, questionneur, rafraîchissant, sublime, titanesque, ultramoderne, verdoyant, waterproof, xénophile, yankee et zélé."

Voilà encore un jeu de phrases dans lequel Georges Perec excellait. D'ailleurs, il en écrivit un livre qui fit sa célébrité. Il s'agit du lipogramme dont le meilleur exemple est La Disparition, un livre de trois cents pages dans lequel la lettre E n'est pas écrite une seule fois. Citation : "Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut ; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification. Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou. Son pouls battait trop fort. Il avait chaud."

Et quand La Peinture des mots essaie... "Quand nous nous barbons, assis sur un sofa, nous ignorons tout. Alors, nous buvons du lait dans un bol blanc, puis nous saisissons notre iPad, consultons nos applications. Là, soudain, nous voyons un blog mirobolant, motivant. Nous ouvrons puis lisons sans fin, durant trois jours... Nous aimons tant !" Pas trop mal, avouons.

Il existe plusieurs variantes de lipogrammes. Par exemple, le monovocalisme qui consiste à n'utiliser qu'une voyelle pendant tout un texte ("Ce que je veux, je ne le peux", monovocalisme en e). Georges Perec écrivit une pièce ne contenant que la voyelle a (What a man) et inspira Jacques Jouet qui écrivit Ô, l'ostrogoth, monovocalisme en o, cette fois-ci. On trouvera également le bivocalisme (deux voyelles seulement), le monoconsonnantisme (une consonne) et le biconsonnantisme (deux consonnes).

Le cinquième exercice que vous lirez aujourd'hui se nomme le palindrome. Très apprécié par les linguistes et les écrivains, voici son principe : un mot, une phrase ou un texte qui se lit de la même manière à l'endroit et à l'envers. Par exemple, le mot kayak en est. Échangez ses lettres (la première en dernier...) et vous verrez, on lira toujours kayak. En ce qui concerne les phrases, voici "Ésope reste ici et se repose", "Eh, ça va, la vache ?", "Noël a trop par rapport à Léon". Georges Perec (encore lui), écrivit également un livre palindromique. La Peinture des mots a lu et n'a rien compris du tout (le texte n'a aucun sens).

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