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Le sexe des mots

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On connaît tous le genre de la plupart des noms communs : on dit une image, un article, un site, une lettre... Mais certains mots ont un genre qui n'est pas forcément celui qu'on soupçonnerait. Toute le monde a entendu parler de pétale qui, contre toute attente, est masculin. Et encore, ce n'est que le début. Certains mots sont masculins ou féminins selon leur nombre ou leur fonction, selon les sens... D'où vient cette lubie de donner un sexe aux objets non vivants ? Êtes-vous prêts à entrer dans l'une des plus grandes difficultés du français ? Alors, plongez...

Un article écrit par La Peinture des mots

Commençons par la simplicité. Tout ce qui désigne quelque chose de féminin à proprement parler est féminin : une femme, une fille, une boulangère, une présidente, une chienne... même si ce n'est pas une généralité. Par exemple, le genre des noms d'animaux ne change pas toujours. Le mâle de la souris sera une souris (et non pas un rat), celui de la grenouille sera une grenouille (et non pas un crapaud), contrairement à ce que l'on pourrait croire. De même, la plupart des entités masculines seront désignées par des mots masculins : un homme, un garçon, un boulanger, un président, un chien... Aussi, tout ce qui peut être femme et homme est accordable à souhait. On les appellera nom épicène. Quelques exemples : un secrétaire, une secrétaire, un ministre, une ministre etc. Mais comme toutes les astuces, elle n'est pas infaillible. Certains mots épicènes sont forcément féminin et on n'y changera rien : par exemple, une personne, une silhouette, une présence et une entité se diront, peut importe que la personne, la silhouette, la présence ou l'entité soit un homme ou une femme. Au contraire, un individu, un animal et un quidam seront masculins bien que l'individu, l'animal ou le quidam peuvent être une femme aussi bien qu'un homme.

Pour les objets, on se demande parfois comment en est-on arrivé à un tel capharnaüm. On dirait que les genres ont été distribués d'une manière aléatoire, à l'aveuglette. Pourquoi un message mais une lettre ? Pourquoi un fauteuil mais une chaise ? Dans les langues étrangères, des mots masculins en français peuvent devenir féminins et réciproquement. Exemples avec l'espagnol : un écran > una pantalla ; une fourchette > un tenedor ; le sel > la sal... Encore pire, certains mots comme aigle, poison, légume ou pamplemousse étaient autrefois féminins, tandis que d'autres termes comme entrecôte ou horloge étaient masculins. Quant à alvéole, qui est actuellement masculin, pourrait bientôt changer de sexe, de même qu'après-midi.

 

Certains autres mots comme gens (au pluriel) étaient autrefois féminin. Et d'ailleurs, cette féminité est restée : quant l'adjectif est placé avant, il devient donc féminin (de bonnes gens, des gens bons). Dans le même genre que gens, on retrouve les très célèbres amour, délice et orgue, qui deviennent tous trois féminins lorsqu'on les met au pluriel (de belles amours, de somptueuses délices, de grandes orgues). Le mot orge, lui, est aussi extrêmement casse-tête. Notre céréale est toujours féminine, sauf dans ces trois expressions : orge carré, orge perlé et orge mondé.

Vous l'avez compris, le genre des noms donne bien du fil à retordre, que ce soit aux linguiste ou au non-expérimenté qui peine parfois à savoir si pétale est masculin ou féminin. Alors, remontons le fil d'Ariane jusqu'au début de ce géant quiproquo. Il faut savoir, mais vous le savez déjà, que la plupart des langues nordiques ne connaissent pas le genre grammatical. En finnois, par exemple, on distingue seulement l'animé de l'inanimé et cela persiste mais n'a pas résisté bien longtemps dans la langue anglaise. Dans d'autres langues comme le mandarin, on ajoute simplement le mot "mâle" ou le mot "femelle" après les termes génériques. Ainsi, ce sera la lion femelle qui ira chasser pour nourrir sa portée et non pas la "lionne". Pour savoir l'origine de cette idée étrange qui est d'attribuer des sexes à des objets, les linguistes et lexicographes ont, par tous les moyens, tenté de comprendre ce qu'il en était dans la langue indo-européenne, un probable idiome qui serait à l'origine de la moitié des dialectes du globe. La seule chose qui a pu en être retirée est que la distinction entre le masculin et le féminin s'est faite assez tard, puisque la plupart des écrits retrouvées font juste la différence entre l'animé et l'inanimé. En latin et en grec ancien, c'est la règle de proximité qui domine. Autrement dit, on accordera l'adjectif en fonction du dernier mot cité. Par exemple, les latinistes écriront "Dominus quod rosa bonae", qui pourra se traduire par "Maître et rose bonnes." et non "Maître et rose bons". D'ailleurs, ce fut le cas dans la langue française jusqu'à la funeste année 1675, ou l'oreille avertie de l'abbé Bouhours fut écorchée en apprenant que le genre masculine ne l'emportait "toujours pas" sur le genre féminin en grammaire.

Après avoir fait un peu d'histoire, il faut de la pratique, il faut des chiffres et des astuces. Alors allons-y. Une des questions qu'il est tout-à-fait probable que vous vous posiez, c'est celle de savoir s'il y a plus de mots féminins ou de mots masculins. La réponse est juste ici, mais il est extrêmement compliqué d'avoir des réponses et des statistiques claires vu que chacun donne un chiffre différent. Mais dans tous les cas, le masculin l'emporte, dans le sens ou plus de mots portent cette étiquette. 56% selon le dictionnaire Robert. Tandis que si l'on prend un texte quelconque, on se rend compte d'une autre réalité extrêmement frappante : les mots masculins sont utilisés de manière beaucoup plus fréquente : 65,4% des mots portent la barbe alors que seulement 34,6% sont féminins. Des statistiques qui changent évidemment selon les langues. Pour en savoir plus sur le "sexisme" de notre langue, il faudrait se pencher sur d'autres données : par exemple, l'article défini masculin "le" est bien plus utilisé que son alter ego masculin "la" et que le mot (âmes sensibles, bouchez vos oreilles et serrez vos paupières) pénis compte plus de synonymes et d'occurrences que le mot vulve.

Pour savoir si un mot est féminin ou masculin, la tâche est plutôt aisée. Les mots finissant par -ion, -té, -eure, -oi, -ette, -olle, -ence, -ance, -ade, -ude, -aise, -ise, -esse et -asse seront principalement féminins : la nation, la beauté, l'heure, la loi, la sucette, la corolle, la sentence, la remembrance, la charade, l'aptitude, l'aise, la crise, la politesse, la bécasse etc., tandis que les mots en -ée, -teur, -al, -ard, -scope, -phone, -at, -ât, -ment, -isme et -asme seront la plupart des fois masculins : le musée, le docteur, l'animal, le brouillard, le stéthoscope, le téléphone, le débat, le dégât, le journalisme, le fantasme etc. D'autres terminaisons sont totalement indéfinies comme -ée ou -eur. Mais il y a toujours des exceptions qui confirment la règle : le roi, la senteur, le pâté etc. D'autres mots détiennent carrément des records : bastion, seul mot masculin en -tion ; squelette, seul mot masculin en -ette ; silence, seul mot masculin en -ence ; foie, seul mot masculin en -oie ; jument, seul mot féminin en -ment etc.

Il existe après cela une autre catégorie très problématique de noms : ceux qui changent de sens selon leur sexe. Par exemple, le vase (pot où l'on met de l'eau ou des fleurs) et la vase (substance terreuse dans les cours d'eau) ; un espace (place où l'on évolue) et une espace (symbole typographique qui marque un changement de mot) ; un livre (assemblage de page que l'on peut lire) et une livre (monnaie anglaise ou unité de mesure des poids) mais je ne saurais tous les citer en vue de leur nombre interminable.

La conclusion de cet article : les mots sont forcément masculins ou féminins mais leur genre peut varier selon leur sens, la langue, leur accord, leur place dans la phrase etc. Depuis le XVIIème siècle, on apprend en grammaire que le masculin l'emporte sur le féminin, alors qu'auparavant, on utilisait la règle de proximité. Dans la langue française, les mots masculins sont plus nombreux et plus utilisés. Pour savoir si un mot est féminin ou masculin, il existe une ribambelle de manières, or, elles sont toutes contredites pas des contre-exemples qui, décidément, ne nous facilitent pas la tâche... Et si on veut résumer encore plus simplement : le sexe des mots cause des ennuis inutiles et évitables...

Merci beaucoup d'avoir lu (ou survolé !) cet article jusqu'à son terme, j'espère qu'il vous a diverti (ou non) mais peu importe car si vous voulez prolonger un peu le plaisir, vous pouvez jouer à un quiz de La Peinture des mots, "Ce mot est-il féminin ou masculin ?" en deux parties. Le lien est juste en-dessous. Bonne journée !

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