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L'insoluble énigme du « bleu manquant » (et des couleurs en général)

L'insoluble énigme du « bleu manquant » est, à l'instar de cette photographie prise en 2004 par Jean-Baptiste Huyhn intitulée Fils, un véritable sac de nœuds colorés...

L'insoluble énigme du « bleu manquant » est, à l'instar de cette photographie prise en 2004, en Inde,  par Jean-Baptiste Huyhn intitulée Fils, un véritable sac de nœuds colorés...

L'insoluble énigme du « bleu manquant » (et des couleurs en général)

Si je vous demandais quelle est la couleur du ciel, que me répondriez-vous ? Bleu, sans l’ombre d’un doute… Et j’en conviens parfaitement.

Le français que l’on parle communément dans plus de vingt-neuf pays du monde, est doté de douze termes pour désigner ce que l’on appelle dans le jargon linguistique les couleurs basiques. Il s’agit des trois couleurs primaires (bleu, rouge, jaune), des trois couleurs secondaires (violet, vert, orange), des deux « variables » (blanc et noir) et de leur progéniture (gris, rose, marron) et du beige que l’on omet bien souvent. Ce chiffre est certes changeant en fonction de si on considère le beige, le rose et le marron comme des couleurs à part entière ou des variantes dégénérées du rouge — et de bien d’autres critères que je ne me ferai pas le plaisir de vous lister — mais il gravite toujours autour de ce nombre parfait qu’est douze. Ce qui est tout-à-fait dans la moyenne par rapport au reste du monde (l’anglais, par exemple, n’en a qu’onze alors que le japonais en compte généralement seize).

 

Et maintenant, si je vous disais que la quasi-totalité des langues parlées par les autochtones d’Océanie ou d’Amérique, en plus d’une grande part des langues éteintes (à tout hasard, le latin, le grec ancien ou le germanique…) et des langues subsahariennes (le wobé en Côte d’Ivoire, l’ibibio au Nigéria…) ne connaissent pas de mot pour désigner le bleu, qu’il s’agisse du bleu du ciel sans nuage, du bleu de la mer et de ses vagues insoumises ou encore du bleu si profond et hypnotique de Facebook ?

C’est l’insoluble énigme du « bleu manquant » qui taraude tous les linguistes depuis le XIXème siècle mais qui, néanmoins, reste un mystère sans pareil et sans réponse…

Tout commença en 1858 quand William Gladstone, exégète spécialiste d’Homère et futur Premier Ministre du Royaume-Uni, découvrit par mégarde que l’Odyssée et l’Iliade ne faisaient jamais mention du bleu. Eh oui. Pourtant, il y avait bien quelques termes génériques pour désigner des couleurs, tels que « λευκός » (« leukós », qui se traduit par « blanc »), « μέλας » (« mélas », qui se traduit par « noir » et qui, au passage, a donné le radical de mélancolie), « ξανθός » (« xanthós », « jaune »), « ερυθρός » (« eruthrós », qui signifie « rouge vif » et a donné le nom du beau pays qu’est l’Érythrée), et bien d’autres encore… Mais pas de bleu. Jamais. Nulle part. Nada. Ni d’orange d’ailleurs. Mais ce qui est bien plus étrange, vous en conviendrez, c’est que la mer n’est pas du tout absente du récit. Au contraire, elle y joue un rôle primordial. Et le vocable qu’Homère a choisi d’utiliser pour la désigner, c’est « πορφύρεος » (« porphúreos »), ou, comme on dirait en français, violet. D’ailleurs, il use de ce même mot pour qualifier le sang, les arcs-en-ciel et l’obscurité des nuages colériques. Intrigué, il poursuivit son étude dans un foultitude d’autres livres en grec ancien, et sa conclusion se fit grave et excitante à la fois : le bleu n’existait pas en grec ancien.

Tout de suite, son ouvrage fit mouche, et tout le monde se mit à émettre des hypothèses, plus insensées les unes que les autres. Les spéculations volaient dans tous les sens, envahissant l’espace médiatique (j’exagère à peine) et une d’elles se fit remarquer, puisqu’elle avait été émise par Gladstone lui-même, c’est que tous les Grecs étaient daltoniens ; je cite : « l'organe de couleur et ses impressions n'étaient que partiellement développés chez les Grecs de l'époque héroïque ». Cette hypothèse qu’il énonce comme une affirmation, vous l’aurez compris, ne tient pas debout. Tant scientifiquement qu’historiquement. Mais à l’époque, rien de plus satisfaisant ne se présente.

Un linguiste et philosophe allemand de l’époque, Lazarus Geiger — précurseur involontaire de Berlin et Kay (vous comprendrez en lisant la suite) —, fut immédiatement intéressé, puis captivé par les recherches de Gladstone, et se mit à se poser mille questions : pourquoi le bleu ? Depuis quand ? Ce phénomène est-il propre au grec ancien ? Se reproduit-il dans d’autres cultures ? Après quelques années de travail, il est formel : le grec n’a pas le monopole de l’absence du bleu. Et mieux encore, il comprit rapidement qu’une langue qui contient un mot pour désigner le bleu est dans la minorité. Pour découvrir cela, il se pencha sur plusieurs textes fondateurs, tels que les Védas, les contes chinois, l’ancienne version de la Bible hébraïque, les sagas islandaises… et en tira un paradoxe irrésistible : « Ces hymnes de plus de dix mille lignes sont pleins de descriptions des cieux. Presque aucun autre sujet n'est abordé plus fréquemment. Le soleil et le rougissement de l'aube ; le jour et la nuit ; les nuages et les éclairs ; l'air et l'éther, tout se déroule devant nous, encore et encore... mais il y a une chose que personne ne pourrait apprendre de ces chants anciens... c'est que le ciel est bleu. »

À la fin des années 1800, un autre homme se pencha sur la question. Il s’agit de l’anthropologue William Halse Rivers Rivers qui décida de mener une expédition dans un pays hostile et mystérieux : la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour, dit-il, étudier les caractéristiques mentales des gens qui y vivent, et (ne dit-il pas) en profiter pour proférer quelques banalités racistes. Il remarqua alors, après avoir soigné son mal de mer, que les Papous non plus n’avaient pas de mot pour le bleu. Aucun daltonisme détecté, cependant. Les seuls noms de couleurs qu’il put comprendre étaient au nombre de trois : le foncé (ou noir), le lumineux (ou blanc) et le rouge. Je le cite : « un autochtone intelligent ne trouvait rien de contre nature à appliquer le même nom au bleu brillant de la mer ou du ciel et au noir le plus profond de la planète ». Et il en déduisit que les autochtones sont idiots et que le nombre de couleurs basiques dépend de l’avancement intellectuel et de la culture des peuples. Ayant bien lâché son leste perfide sur les Papous, enorgueilli d’avoir réussi à prouver la supériorité des Anglais, il rentra vite avant de repartir pour rendre visite aux Égyptiens.

Autant vous dire que la thèse de Monsieur Rivers Rivers ne nous intéressera pas car, bien évidemment, elle est fausse ; la science prouvera que les humains sont tous des humains et que, par conséquent, aucun n’est supérieur et aucun n’est inférieur ; bref, je digresse, je digresse. C’est en 1969 que ce débat va prendre un tournant décisif, et ce grâce à deux formidables linguistes de Berkeley, Brent Berlin et Paul Kay, qui vont publier un ouvrage révolutionnaire : Basic Color Terms: Their Universality and Evolution (Les Termes basiques de couleurs : leur universalité et leur évolution). Voici leur histoire…

Lorsque Paul Kay, jeune étudiant fraîchement diplômé en anthropologie à l’Université de Harvard, est arrivé à Tahiti en 1959 pour y étudier les conditions de vie, il s’attendait à avoir du mal à comprendre les mots pour les couleurs. En effet, il venait tout juste de travailler sur la relativité linguistique (je vous en reparlerai plus tard dans l’article), une théorie selon laquelle, grosso modo, le langage façonne la perception du monde que l’on a. Cependant, contre toute attente, il n’en fut rien. Par exemple, le terme « ninamu » embrassait toutes les teintes et nuances de ce que nous — ou Paul Kay — appellerions le bleu et le vert. Et cela suffisait largement pour mener une vie paisible et tranquille. Ce qui étonna le futur linguiste, c’était également le découpage des couleurs. Les Tahitiens avaient des mots pour le jaune, pour le rouge, pour le noir et pour le blanc ; leur découpage était exactement le même que le nôtre, à l’autre bout du monde…

Quelques années plus tard, après son retour à Boston, il se retrouva avec un collègue anthropologue qu’il ne connaissait pas encore, un certain Brent Berlin, qui revenait d’une longue immersion dans la langue tzeltal, parlée par les Mayas avant leur disparition subite due à la générosité et à l’humanité sans pareil des Européens, où — coïncidence ? — il avait observé la même chose que Kay à Tahiti : même nombre de mots pour les couleurs, même découpage… Une longue amitié entre les deux étudiants ne tarda pas à se nouer, tandis que les questions qu’ils se posaient chacun de leur côté leur prenait de plus en plus la tête. Pourquoi toutes ces corrélations ? Comment était-ce possible que deux langages totalement différents, d’époques totalement différentes, séparés par plusieurs milliers de kilomètres, se ressemblent tant ? Était-ce dû à un pur hasard ?

Pour résoudre ce casse-tête, les jeunes scientifiques avaient besoin de plus de données. Mais où pourraient-ils se les procurer ? Au milieu des années 1960, ils furent tous deux embauchés comme professeurs à l'Université de Californie, à Berkeley, et avec l'aide de leurs étudiants, ils réunirent des locuteurs natifs de 20 langues, dont l'arabe, le hongrois, l’ibibio (une langue nigérienne), le mandarin, le pomo (langue parlée par un peuple amérindien du nord de la Californie aux États-Unis) et le swahili notamment. Les chercheurs ont montré à chacun de leurs cobayes trois-cent trente taches de couleur et leur ont demandé de nommer le « terme de base » qui leur correspondait. Ils ajoutèrent ensuite à cela les lexiques de soixante-dix-huit autres langues réalisés par des travaux anthropologiques antérieurs.

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Figure 1. Les trois-cent-trente couleurs présentées aux cobayes pour le test de Berlin et Kay. Ce « tableau » se nomme une carte Munsell, en référence à Albert Henry Munsell, enseignant et artiste américain spécialiste des couleurs.

Pour définir ce qu’est un « terme de couleur de base », les deux chercheurs fixèrent des limites très très précises pour éviter les ambiguïtés. Par exemple, un « terme de couleur de base » se doit de n’être composé que d’un seul mot (pas de bleu-vert ou de rose-rouge), mais aussi d’une seule partie (pas de bleuâtre ou de noirâtre). Il doit aussi ne pas être une sous-catégorie d’un autre « terme basique de couleur » (carmin est une nuance de rouge), être applicable à tout (pas d’auburn par exemple, puisqu’il ne s’utilise que pour une chevelure) et être psychologiquement saillant pour tout le monde (« la couleur du sac de courses de tonton Gérard » n’est donc pas valable). Enfin, il existe une batterie de critère subsidiaires qu’il serait trop fastidieux d’énoncer ici.

L’expérience terminée, les données en main, il est maintenant temps de conclure et de révéler au grand public le secret des « termes basiques de couleurs »… Et comme le suspens se fait insoutenable, je vais vous dévoiler, aujourd’hui, en non-exclusivité, leurs déductions :


- Quand une langue contient deux termes de couleurs, ce sont le noir et le blanc. C’est le cas du jalé et du dani, langues papoues ou du bassa, langue parlée au Sierra Leone et au Libéria… La contrainte des deux termes minimum fut, plus tard, contestée par la feue pragmatique linguiste australienne Anna Wierzbicka.


- Quand une langue contient trois termes de couleurs, ce sont le noir, le blanc et le rouge. C’est le cas de l’indonésien, du rennel-bellona (une langue parlée sur l’île de Bellona en Polynésie), du wobé (un dialecte parlé en Côte-d’Ivoire), du pomo (une langue parlée par un peuple amérindien du nord de la Californie aux États-Unis), du tsminane (une langue bolivienne amazonienne), du tiv (Nigéria), et cætera…


- Quand une langue contient quatre termes de couleurs, ce sont le noir, le blanc, le rouge et le jaune (dans 53 % des cas étudiés) ou le vert. C’est le cas de l’ibibio (une langue parlée au Nigéria où la quatrième couleur est le jaune) ou de l’ibo (toujours au Nigéria, mais où c’est le vert qui fait office de quatrième couleur de base).


- Quand une langue contient cinq termes de couleurs, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune et le vert. C’est le cas du berinmo (dialecte parlé en Papouasie-Nouvelle-Guinée), du tzeltal (langue morte des Mayas) ou du tahitien notamment.


- Quand une langue contient six termes de couleur, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune, le vert et le bleu. C’est le cas du mandarin, la langue la plus parlée du monde.


- Quand une langue contient sept termes de couleur, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune, le vert, le bleu et le marron.


- Enfin, quand une langue contient entre huit et onze termes de couleur, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune, le vert, le bleu, le marron et – dans un ordre aléatoire – le violet, le rose, le gris, l’orange… C’est le cas de l’anglais, de l’espagnol, de l’arabe…


- Quelques langues sont dotées d’un plus grand nombre de termes de couleurs de base. Parmi lesquelles on retrouve le français (qui en comprend douze si on ajoute le beige), le turc (qui, selon une étude réalisée sur deux-cent-trente-trois de ses locuteurs, contient le très joli « lacivert » qui marque la frontière entre le bleu marine et le violet profond, ainsi que deux rouges différents et quatre mots pour le noir et le blanc), le russe (où « голубой » (« golouboy ») désigne un bleu clair à la limite du vert), le grec, l’hébreu, l’italien (qui a préféré ne pas choisir entre « blu » et « azzuro »), le hongrois (ou il existe deux rouges : « piros » et « vörös », respectivement pour le clair et le foncé) ou encore le japonais, qui compte jusqu’à seize termes de couleurs de base.


Lera Boroditsky, scientifique spécialisée dans la linguistique cognitive, explique ce phénomène dans une conférence de TedWomen donnée en novembre 2017 : « Toute leur vie, dans leur langue, les Russes distinguent ces deux couleurs. Quand nous testons la capacité des gens à distinguer ces couleurs, les russophones sont plus rapides à passer cette frontière linguistique. Ils arrivent plus rapidement à distinguer entre un bleu clair et un bleu foncé. En observant le cerveau des gens quand ils regardent des couleurs — vous avez des couleurs passant lentement du bleu clair au foncé — le cerveau des gens utilisant des mots différents pour le bleu clair et le bleu foncé aura une réaction de surprise quand les couleurs passeront du clair au foncé : « Oh, quelque chose a changé catégoriquement ! », alors que le cerveau des anglophones ne fait pas cette distinction (…). »

En fin de compte, on obtient le schéma suivant :

ou
ou

Figure 2.

... Ou le tableau que voici :

Tableau figure 5.JPG

Figure 3.

Quelques exceptions cependant viennent troubler la fête :


- Le catalan, où l’appartenance du noir (« negre ») dans la catégorie des termes de couleur de base fait débat.


- Le cantonais, qui compte huit mots différents dont le noir, le blanc, le rouge, le vert, le jaune, le bleu, le rose et le gris. Mais aucune trace de quelque nuance de marron, alors que ce dernier est censé arriver avant le rose et le gris.


- Le vietnamien a les mêmes onze termes qu’en anglais ou qu’en espagnol. Tous, sauf le bleu, ce qui déroge encore une fois à l’ordre établi par les deux linguistes-anthropologues.


- Le japonais, qui a eu droit à des études très poussées sur son évolution, qui ont prouvé que le bleu y était apparu avant le vert.

Autre élément étudié par Messieurs Brent Berlin et Paul Kay : les « couleurs focales ». Ils s’agissent des archétypes symboliques de chaque famille désignée par un terme de couleur de base. Autrement dit, la nuance de bleu considérée comme le bleu « parfait », comme représentant le bleu en général ; ou la nuance de vert considérée comme le vert « parfait », comme représentant le vert en général ; et cela fonctionne avec les onze couleurs basiques — qui sont celles de l’anglais. Et ce qui est fascinant par-dessus le marché, c’est l’observation des deux linguistes, qui, après leur expérience, sont formels : les couleurs focales sont universelles. Généralement, elles se démarquent par une saturation plus élevée, et par un nom plus court (cela manifeste une plus grande codabilité linguistique — une plus grande facilité à les exprimer).

Couleurs focales.jpg

Figure 4. Les couleurs focales universelles. De gauche à droite et de haut en bas : le jaune, le noir, le vert, le rouge, le blanc et le bleu.

Autant le dire clairement, leur théorie est révolutionnaire. Mais, autant le dire clairement, elle est surtout la source d’une myriade de controverses dès sa parution. Pourquoi ? Tout d’abord, on reproche à Paul Kay et Brent Berlin le choix de leur échantillon qui est ridiculement petit (vingt langues) au vu des sept mille langues que l’on parle aujourd’hui à travers le monde ; et bien qu’ils aient récolté des informations sur soixante-dix-huit autres langues, cela reste bas et, par conséquent, d’une fiabilité réduite. On dénonce également leur impartialité : la plupart des langues qu’ils ont décidé de traiter (hébreu, espagnol, anglais, japonais…) sont parlées dans des sociétés influencées par l’industrialisation et l’échange des mots, ce qui fausse grandement leurs résultats. De plus, leurs sujets sont, en grande majorité voire dans leur totalité, bilingues.

Ajoutez à cela quelques particularités linguistiques comme le cas de l’indonésien où une grande partie des termes de couleurs sont des métaphores ou des références aux objets du quotidien (par exemple, les cendres, le ramage des perroquets, la sève des arbres…), celui de la langue hanunó’o parlée dans les Philippines, où on associe généralement les couleurs à des sensations (la sécheresse, la force…), du warlpiri parlé dans le nord de l’Australie, où il n’existe pas de mot pour « couleur », ou encore celui de la langue pirahã parlée par quatre-cents autochtones en Amazonie, où il n’existe aucun terme pour les couleurs (on utilise souvent des comparaisons pour les désigner). (Précisons que ces deux derniers idiomes n’ont pas été pris en compte dans l’étude de nos deux héros mais qu’ils sont juste là à titre d’exemples). Bref, on accuse Berlin et Kay de n’avoir pas pris au sérieux la complexité de la chose.

Alors, en 1970, les deux linguistes ont lancé le World Color Survey (Étude Mondiale des Couleurs). Cette fois-ci, ils ont pris un panel plus large, beaucoup plus large. Les couleurs étaient toujours les mêmes, mais leur échantillon, lui avait changé. Le nombre de langues étudiées fut quasiment multiplié par six tandis que le nombre de sujets prenait lui aussi une ampleur formidable. Sur les deux mille six-cents locuteurs natifs de cent-dix langues non-écrites de sociétés reculées et retranchées de la mondialisation, l’ordre restait toujours le même, et les prédictions fonctionnaient à presque tous les coups – car oui, dix-sept pour-cent des dialectes étudiés dérogeaient à la règle (ce qui reste très bas quoi qu’il advienne).

En 1978, Paul Kay, toujours noyé sous un amoncellement de critiques conservatrices, est contraint de revenir sur ses paroles. Il s’associe alors avec un certain Chad McDaniel et admet ses erreurs et les limites de la théorie qu’il avait émise neuf ans auparavant. À titre d’exemple (car il a beaucoup chipoté sur des détails peu intéressants), il stipule que, généralement, une langue qui ne contient pas de bleu le classe dans la même famille que le vert. Désormais :


- Quand une langue contient deux termes, ce sont le noir et le blanc.


- Quand une langue contient trois termes, ce sont le noir, le blanc et le rouge.


- Quand une langue contient quatre termes, ce sont soit le noir, le blanc, le rouge et le jaune ; soit le noir, le blanc, le rouge et le vert-bleu.


- Quand une langue contient cinq termes, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune et le vert-bleu.


- Quand une langue contient six termes, ce sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune, le vert et le bleu.


- Les deux dernières étapes demeurent inchangées.

D’autres études ont été réalisées sur les langues éteintes — ou quasi-éteintes en ce qui concerne le latin — qui sont à l’origine d’une grande partie des langues d’Europe et d’Asie.


- Tout d’abord, on a découvert que le proto-indo-européen commun, plus communément nommé indo-européen ou PIE, qui est à l’origine de l’anglais, de l’allemand, du français, de l’espagnol, et cætera… ne contenait que quatre termes de couleurs de base : le blanc (« *kwey- ») (qui signifie littéralement « lueur »), le noir (« *swordos ») (« sec »), le rouge (« *rowdho- ») et le jaune-vert (« *ghel- »).


- Le proto-germanique, ou germanique, lui, en comptait probablement six : le blanc (« *hweitoz », que l’on retrouve par exemple dans « white »), le noir (« *swartoz »), le rouge (« *raudoz », qui a donné « red »), le vert (« *gronjoz », à partir duquel a été créé « green »), le jaune (« *gelwoz », de « yellow ») et le gris (« *gragwoz »). Il est d’ailleurs assez étonnant de constater l’existence d’un mot pour le gris, ce qui va à l’encontre des dires de Berlin et Kay. De nombreuses personnes ont tenté douteusement de relier l’agrandissement de ce nombre aux progrès techniques de l’époque ; mais des rapprochements avec le latin et le grec ancien (dont je vous ai parlé un peu plus haut) ont prouvé le contraire. Aussi, la récente distinction entre le vert et le jaune est due — sûrement — à l’essor de l’agriculture.


- Le vieil anglais subit le même sort. Six termes basiques de couleurs qui sont de loin les mêmes que pour le germanique : blanc (« hwit »), noir (« sweart »), rouge (« read »), vert (« grene »), jaune (« geolo ») et gris (« græg ») et qui, à l’instar du susdit germanique, posent problème.


- Quant au vieux norrois, il était certainement doté de sept termes : le bleu (« *blár »), le jaune (« *bleikr »), le gris (« *grár »), le vert (« *grǿnn »), le blanc (« *hvítr »), le rouge (« *rauðr ») et le noir (« *svartr »).


- Pour le latin et le grec ancien, vous le savez déjà, il est très difficile de donner une réponse claire et nette, vues la contradiction des sources, la surabondance des métaphores et la petitesse du corpus exploitable. Une des seules choses que l’on peut assurer est la non-existence du bleu — ou plutôt de la non-existence d’un mot pour le désigner. Ainsi, vous remarquerez que les langues romanes ont dû piocher dans d’autres idiomes que le latin pour se créer des mots pour désigner la couleur bleue. Le français (« bleu ») ou l’italien (« blu ») par exemple, ont emprunté au francique le terme « *blāo », alors que le portugais et l’espagnol (« azul ») ont trouvé plus à leur goût l’arabe « أزرق » (« azraq »). De plus, le grec moderne — qui a normalement d’habitude de tirer ses mots du grec ancien, a été obligé de recourir à des moyens plus capillotractés : leurs deux mots pour signifier le bleu (clair et foncé, car oui, ils ont douze termes de couleurs de base) sont fabriqués de toutes pièces. « Γαλάζιος » (« galázios »), le premier, est tiré du grec byzantin « κάλαϊς » (« kálaïs »), qui signifie « blanc laiteux », tandis que le second, « μπλε » (« ble ») est emprunté au français. Et là encore, une ambiguïté profonde se creuse ; car à cause de l’importance que prend l’anglais actuellement, ces mots disparaissent petit à petit du registre des termes basiques de couleurs et contribuent malgré eux à nimber cette appellation de brouillard…

Bien. Récapitulons la première partie de cet article. Nous savons désormais que le bleu n’existait ni en grec ancien, ni en latin, ni en proto-germanique, ni en proto-indo-européen commun, ni en vieil anglais, ni en sanscrit, ni en arabe ancien. Nous savons qu’il n’existe pas dans la plupart des langues parlées en Afrique subsaharienne (Namibie, Nigéria…), ni dans la plupart des langues parlées en Océanie (Papouasie-Nouvelle-Guinée, Polynésie…) Nous savons en revanche qu’il existe dans un grand nombre des langues parlées dans les sociétés industrialisées ou en contact avec les sociétés industrialisées (anglais, espagnol, arabe…), parfois même plus (japonais, russe, turc, grec moderne, français, hongrois, hébreu, italien…) Nous savons que le nombre de couleurs principales d’une langue influence le cerveau et la perception du monde de ses locuteurs ; mais aussi que le cerveau et la perception du monde des locuteurs d’une langue influence son nombre de couleurs principales. Nous savons enfin que le nombre de termes de couleurs de base dans une langue peut aller d’un à seize en moyenne, et que les couleurs concernées semblent obéir à un ordre, à une évolution universels et inévitables (à quelques exceptions près).

Tout cela, nous le savons. Mais ce qu’il est plus difficile à comprendre, c’est le pourquoi du comment. Pourquoi cet ordre et pourquoi pas un autre ? Pourquoi ce découpage chromatique si récurrent ? Pourquoi ? Eh bien, je vous le dis tout de go, c’est, à ce jour encore, une question que l’on est en droit de se poser, car c’est une question sur laquelle on n’a jamais réussi à trancher. À trancher ? Oui, à trancher. Car, pour répondre à cette interrogation, à cette énigme — que dis-je ? — à ce mystère insoluble, deux camps opposés s’affrontent violemment. Sont présents sur le ring aujourd’hui : les relativistes ou culturalistes et les universalistes.

Les premiers affirment que la variabilité des termes basiques de couleurs d’une langue à l’autre est un phénomène lié à un phénomène culturel ; que le nombre de couleurs d’une langue est « volontaire », réfléchi, délibérément instauré en fonction des besoins d’une société ou d’une culture. Selon eux, c’est certes le cerveau humain qui a fabriqué les couleurs ; mais les termes utilisés dans chaque langue influent sur la perception-même du monde de ses locuteurs.

La principale source du relativisme linguistique émane de deux linguistes américains, Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, qui ont donné leur nom à la fameuse hypothèse de Sapir-Whorf. Au départ, Edward Sapir n’était qu’un vulgaire professeur d’université-ethnologue-anthropologue-linguiste. Son travail reposait sur une observation qu’il avait lui-même faite selon laquelle nos représentations mentales dépendraient de nos catégories linguistiques. C’est-à-dire que nous percevrions le monde différemment selon la langue que l’on parle.

Dans un de ses ouvrages-phares, Language, Edward Sapir, en 1933, évoque deux choses :


- Tout d’abord, le langage nous donne accès à un monde potentiel plus large que me monde réel. Même si un homme n’a vu dans sa vie qu’un rhinocéros, il peut s’imaginer toute une famille de rhinocéros, voire une tribu de rhinocéros, et il crée alors, grâce au langage, un monde potentiel qui transcende le réel. C’est d’ailleurs la base du dessin scientifique durant les Lumières et avant.


- Deuxièmement, le langage influence toujours notre expérience, nous ne pouvons pas nous abstraire de son biais. Certaines langues ont des constructions de phrases différentes et cela peut modifier une expérience vécue ou non. Par exemple, un hispanophone qui a abusé d’alcool avant de conduire sa voiture dans une route de montagne dira : « Mi brazo se ha roto. » (« Mon bras s’est cassé. ») tandis qu’un anglophone qui a bu soixante-douze litres de whisky avant de dévaler les marches de son escalier en béton dira : « I broke my arm. » (« Je me suis cassé le bras. ») En quoi cela change-t-il la perception du monde ? me demanderiez-vous. Tout simplement parce que personne ne casse son bras ; et un anglophone qui racontera son histoire, autour d’un thé à la verveine, créera une réalité parallèle en modifiant involontairement son expérience.


Sapir en conclut que notre langue influe sur notre façon de voir le monde.

Cette idée fut défendue, après sa mort notamment, par un de ses élèves, Benjamin Lee Whorf. Pour confirmer cette hypothèse, ce dernier va travailler sur la langue hopi parlée par un groupe aztèque en Arizona. Après quelques mois de labeur, il conclut que les anglophones voient « un espace tridimensionnel, infini et statique, et un temps cinétique unidimensionnel, éternellement et uniformément mouvant » alors qu’un Hopi verrait le monde en deux catégories : celle de l’objectif, avec ce qui est et ce qui a été réellement, et celle du subjectif, qui comprend l’imaginaire, le futur, et cætera… La catégorie de subjectif, grammaticalement, est inexistante, donc plus difficile à exprimer. Le résultat est que les Hopis n’ont pas la même perception du temps que les anglophones. À cette époque, évidemment, l’opinion publique tire des conclusions hâtives et abusives de cette expérience, qui confirme la pseudo-« infériorité intellectuelle des locuteurs du hopi ». Ceux-ci seraient moins évolués, plus primitifs… Ce qui est totalement faux, bien entendu.

Mais alors, peut-on dire que la langue que l’on parle influe sur notre perception du monde ? À la charge de Messieurs Sapir et Whorf, c’est un peu trop facile et répondre oui à cette question serait un poil abusif. Les turcophones par exemple, auraient en conjugaison deux passés différents : un pour raconter ce à quoi on a assisté, un pour dire ce que l’on n’a pas vu, mais qui a eu lieu. Mais de là à dire que les turcophones ont une vision différente du temps… En réalité, c’est même impossible de le savoir…

Il y a quelques années de cela, une équipe de chercheurs, composée par exemple de Monsieur Jules Davidoff, psychologue et auteur, en 1975, du livre Differences in Visual Perception: The Individual Eye, s’est rendue en Namibie étudier la tribu des Himbas. Les anthropologues leur ont montré deux cercles composés chacun de douze carrés colorés et leur ont demandé lequel était l’intrus. Le premier cercle était composé d’onze carrés identiques, teintés d’une nuance de vert bien commune, et d’un carré bleu ciel. Nous, Européens, serions tout-à-fait capables de dire lequel ; cependant, les Himbas échouèrent. Quant au second cercle, il était composé de douze carrés verts que nous, Européens, serions incapables de différencier (vous pouvez essayer) ; cependant, les Himbas n’eurent pas de mal à trouver l’intrus.

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Figure 5. Le test sur la perception des couleurs des Himbas. À gauche, celui où ils ont échoué, à droite, celui où ils ont réussi. Sur le deuxième cercle, l’intrus se trouve à la même place que sur le premier. Le contraste a été un poil augmenté pour faciliter le deuxième test.

Reste une grande énigme qui semble, au premier œil, inextricable : pourquoi les Himbas ont-ils largement réussi au deuxième test alors que nous, Européens, en sommes incapables ? Et pourquoi, à l’inverse, avons-nous réussi là où les Himbas ont échoué ? Tout simplement parce que la langue himba a prévu trois mots différents pour le vert — et tous sont des termes basiques de couleurs — mais zéro pour désigner le bleu clair. Alors que nous, sociétés européennes, avons uniquement un nom pour le vert et un nom pour le bleu. Cela saute aux yeux, notre langue influence notre façon de voir le monde…

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Figure 6. Les trois verts du himba.

Un autre exemple bien connu est celui de la langue pirahã, parlée par quatre-cents autochtones en Amazonie et qui, en plus d’avoir gagné le prix de la langue la plus étrange du monde, ne possède grosso modo que des mots pour un, deux et beaucoup. Pour les besoins de leur étude, les chercheurs leur ont présenté huit cordelettes, ainsi qu’un tas de ballons de baudruche, avant de leur demander de donner à l’examinateur autant de ballons qu’il y avait de cordelettes. Les sujets y parvenaient très bien tant qu’ils pouvaient mettre les ballons à côté des cordelettes. Mais dès qu’ils devaient ce souvenir du nombre exact et compter les ballons sans les cordelettes, ils échouaient. Dans ce cas-là, la langue n’a pas qu’un impact sur la perception du monde réel, mais aussi, sur la mémoire et les capacités mnésiques de ses locuteurs. Les Pirahãs ont la notion de « même quantité », mais pas celle de « huit ». D’ailleurs, mettez-vous à leur place, vous verrez qu’il est extrêmement difficile de retenir quelque chose lorsque l’on n’a pas de mot pour la désigner.

Enfin, l’exemple qui m’a le plus étonné est celui d’une communauté aborigène en Australie, nommée Thaayorre. Lera Boroditsky, principale défenderesse du relativisme linguistique de nos jours, a eu l’occasion de travailler avec eux. Je la cite : « Ce qui est génial avec la langue kuuk-thaayorre [la langue des Thaayorres, NDLA], c'est que des mots comme « gauche » ou « droite » n'existent pas. Tout est décrit en utilisant les points cardinaux : nord, sud, est et ouest. (…) On dirait quelque chose comme : « Il y a une fourmi sur votre jambe sud-est » ou « Déplacez un peu votre tasse nord-nord-est ». En fait, « bonjour » se dit ainsi : « Dans quelle direction allez-vous ? » La réponse serait : « Nord-nord-est, au loin. Et vous ? » Cela vous permettrait de vous orienter assez vite, n'est-ce pas ? Car vous ne pourriez pas dire plus que « bonjour » si vous ignoriez vers où vous allez. Les gens qui parlent de telles langues s'orientent très bien. Ils s'orientent mieux que ce dont nous pensions les humains capables. Nous pensions les humains moins bons que d'autres créatures du fait d'une excuse biologique : « Nous n'avons pas d'aimants dans notre bec ou nos écailles. » Non, si votre langue et votre culture vous entraînent à le faire, vous pouvez le faire. Il y a des êtres humains dans le monde qui s'orientent très bien. Histoire d'être d'accord sur combien cela est différent de notre façon de faire, j'aimerais que vous fermiez tous les yeux un instant et pointiez vers le sud-est. (…) Il y a une grande différence de capacité cognitive entre les langues. Alors que dans un groupe — très distingué comme vous — on ne maîtrise pas les directions cardinales, dans un autre groupe, un enfant de cinq ans saurait les indiquer. » Pour les Thaayorres, le temps va d’est en ouest, alors que pour représenter une évolution, nous, Européens, allons de gauche à droite. Ainsi, leur langue les aura contraints à adapter leur cerveau et à élargir leurs capacités d’orientation…

Les universalistes, au contraire, suggèrent que c’est la biologie de l’être humain qui a installé les termes basiques ; les couleurs focales et le découpage si universel des teintes sont ancrés dans notre biologie, dans notre ADN, et il n’est possible d’y déroger. Selon les universalistes, le développement de la terminologie des couleurs obéit des contraintes universelles absolues involontaires et non-réfléchies. Les universalistes sont persuadés que nos pensées influencent notre langue — à l’inverse des relativistes-culturalistes selon lesquels notre langue influence nos pensées. Autant le dire tout de suite, après s’être fait dépasser par les exemples des relativistes (en même temps, les travaux de Messieurs Gladstone et Rivers Rivers manquaient de rigueur et de preuves solides), les universalistes ont repris du poil de la bête, avec une foultitude d’études plus sérieuses les unes que les autres — à commencer par Messieurs Berlin, Kay et Geiger dont je vous ai déjà parlé plus haut.

En 1976, deux études allemandes ont été menées par Messieurs Bornstein, Kessen et Weiskopf sur seize bébés innocents de quatre mois à peine. Les sujets ont dû regarder successivement plusieurs carrés lumineux de couleurs différentes pendant que les examinateurs tortionnaires observaient minutieusement leur réaction. Résultat : lorsque l’on montre à un bébé plusieurs nuances de bleu, plusieurs nuances de vert, ou plusieurs nuances de rouge, il ne réagit pas — c’est-à-dire que pour lui, toutes les nuances du bleu sont identiques, toutes les nuances de vert sont identiques, toutes les nuances de rouge sont identiques. Cependant, lorsque l’on montre à un bébé une nuance de rouge puis une nuance de vert, de bleu, de jaune, de violet, de marron ou de que sais-je, il réagit — c’est-à-dire qu’il voit une distinction entre le rouge, le vert, le bleu, le jaune, le violet et le que-sais-je. Ce qui prouve que les couleurs sont inscrites dans nos veines, dans notre génome, et ce depuis notre plus tendre enfance… À moins qu’il y ait quelque chose d’intrinsèque aux couleurs elles-mêmes qui font d’elles ce qu’elles sont…

Cette question-là (celle du quelque chose d’intrinsèque aux couleurs elles-mêmes qui font d’elles ce qu’elles sont), c’est celle à laquelle plusieurs chercheurs — Madame Tria et Messieurs Loreto et Mukherjee — de la PNAS se sont heurtés. Pour leur étude, réalisée en mai 2012, ils ont demandé à plusieurs groupes de personnes d’étiqueter des teintes choisies dans le tableau de Munsell — le tableau des trois-cent-trente couleurs utilisé notamment par Berlin et Kay — et ce à base de négociations et de jeux de langage (devinettes…) Le résultat de l’expérience ? Les couleurs qui ont émergé le plus rapidement — qui ont été devinées le plus rapidement — sont, dans l’ordre : le rouge, le magenta, le violet, le vert et le jaune, le bleu, l’orange et le cyan. Ce qui signifie en fin de compte que le rouge possède une caractéristique que les autres couleurs (le bleu, à tout hasard) ne possèdent pas. Et pour cause : le rouge est tout simplement la couleur la plus distincte, celle que l’on confond le moins ; contrairement au bleu dont certaines nuances se rapprochent très fortement du vert, du violet, du blanc ou du noir. Et justement : imaginez-vous dans un monde où aucun mot n’existerait pour désigner la couleur bleue ; une grande partie des bleus peuvent être exprimées via un autre terme basique de couleur.

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Ces nuances sont-elles toutes des nuances de bleu ? La question se pose et elle est tout-à-fait légitime…

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Figure 7. Ordre et vitesse d’apparition des couleurs. Premier graphique sur cinq-cents sujets, deuxième graphique sur sept-cents sujets.

En 2017, un test très similaire a été réalisé par neuf spécialistes — j’ai nommé Messieurs et Mesdames Gibson, Gibson, Futrell, Jara-Ettinger, Mahowald, Bergen, Ratnasingam, Piantadosi et Conway — pour comprendre pourquoi les termes basiques de couleurs, leur quantité et les nuances qu’ils désignent varient à ce point, tout en obéissant à cette hiérarchie « établie » quarante-huit ans plus tôt par Brent Berlin et Paul Kay. Pour cela, ils sont partis d’un principe simple, presque évident, auquel personne n’avait jamais pensé avant : peut-être que les termes de couleurs ont été créés pour améliorer la communication et la rendre plus efficace. Ils ont alors choisi un ensemble de quatre-vingts teintes dans la grille de Munsell, de sorte à ce que tous les carrés voisins aient la même « distance » apparente (pour éviter d’avoir un rouge, puis un jaune, puis un jaune quasiment identique… mais un assemblage régulier). La tâche du sujet consistait à trouver une couleur à partir de devinettes et d’indices simples.

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Figure 8. Les quatre-vingts couleurs choisies par les chercheurs pour leur expérience.

Le nombre de devinette·s qu'il faut à l'auditeur pour se concentrer sur une puce de couleur est un score donné à la puce en question. En anglais, il s'est avéré que l’on peut transmettre les couleurs chaudes — rouges, oranges et jaunes — plus efficacement (avec moins de suppositions) que les couleurs froides — bleus et verts. Disons que la concurrence est plus rude pour ce qui est de nommer une couleur avec les mots bleu ou vert (l’hésitation est palpable pour les couleurs L4 ou L6 par exemple). Ce fait s’est avéré en anglais, puis il s’est avéré dans les cent-dix langues du Word Color Survey de Berlin et Kay. Le diagramme (figure 9) montre que toutes les langues ont à peu près le même ordre, avec les couleurs chaudes à gauche (faciles à communiquer) et les couleurs froides à droite (difficiles à communiquer). Les langues sont classées de haut en bas en fonction du nombre de termes de couleurs que ses locuteurs utilisent de manière constante (vers le haut, les langues qui en ont le plus, comme l’espagnol ou l’anglais ; vers le bas, les langues qui en ont le moins, comme le yacouba ou le cris de l’Est.)

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Figure 9. Le résultat de l’expérience.

Après la découverte incroyable de cet universel vraiment universel, racontent les scientifiques, il ne restait plus qu’un mystère à élucider, celui du pourquoi. Pourquoi cet universel vraiment universel ? Ils ont alors émis une hypothèse qui pourrait paraître fantaisiste, mais qui ne l’est pas tellement en réalité : puisque nous introduisons dans une langue des termes de couleurs pour ce dont on a besoin de parler, cela signifie que ce dont on a besoin de parler est généralement de couleur chaude. Pour le savoir, ils ont réalisé un second test, où ils ont examiné vingt mille photographies d’objets. Et ils avaient raison : en effet, les objets ou les fruits (des choses concrètes et de petite taille) sont plus susceptibles d’être de couleur chaude, alors que les fonds (ciel, mer, herbe, des choses plus abstraites et insaisissables) sont plus susceptibles d’être de couleur froide…

En 2016, des journalistes de la BBC ont interrogé le linguiste israélo-anglais Guy Deutscher sur son travail autour de la couleur bleue et de sa nécessité : « Quand j'ai fait des recherches et découvert à quel point le sujet du bleu était complexe et difficile à comprendre pour les Occidentaux, j'ai voulu faire une expérience. À cette époque, ma fille était en âge d'apprendre à parler et, comme tout autre père, je jouais avec elle et je lui ai appris les différentes couleurs. J'ai eu l'idée de voir à quel point tout le bleu est naturel, et en particulier la couleur du ciel, qui avait déconcerté ceux qui l'avaient étudié : comment se fait-il que les anciens, surtout ceux de la Méditerranée, n'avaient pas de nom pour la couleur du ciel, qui nous semble être la chose la plus évidente ? » Ce qu'il a fait, c'est enseigner à Alma toutes les couleurs, y compris le bleu, mais en s’assurant que personne ne lui dise quelle était la couleur du ciel. « Quand j'étais sûr qu'elle savait utiliser le mot « bleu » pour les objets, lors de mes sorties avec elle — les jours où le ciel était bleu (nous étions en Angleterre, pas en Méditerranée !) — j'ai commencé à lui demander : de quelle couleur est cette voiture ? Ou cet arbre ? Puis je lui ai montré du doigt le ciel et je lui ai demandé : « De quelle couleur est-il ? ». »

Pendant longtemps, Alma est restée muette et impassible. « Avec tout le reste, elle m'a immédiatement répondu, mais avec le ciel, elle a regardé et semblait ne pas comprendre de quoi je parlais. Finalement, quand j'étais en sécurité et à l'aise avec toutes les couleurs, elle m'a répondu. La première fois, elle m’a dit « blanc ». Ce n'est qu'après un long moment et après avoir vu des cartes postales dans lesquelles le ciel bleu apparaissait, qu'elle l'a décrit dans cette couleur. Et Alma n'était même pas dans la même situation que les anciens : elle connaissait le mot bleu et pourtant elle ne l'utilisait pas pour le ciel. J'ai compris qu'il n'était pas nécessaire de nommer la couleur du ciel. Ce n'est pas un objet. Il en va de même pour la mer : comme le ciel, elle n'est pas toujours la même couleur et, surtout, ce n'est pas un objet, il n'y a donc pas de motivation pour la « colorer » avec un mot. »

Ce que dit Guy Deutscher, c’est très intéressant. Selon lui, on trouve des couleurs pour désigner ce que l’on a besoin de désigner. Le rouge est la couleur du sang — parfois, une vie se joue autour du sang — ; le vert est la couleur de la nature — primordiale, plus encore dans ces tribus reculées d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie. Quant au bleu, il est la couleur de l’immensité ; il est la couleur de la mer, la couleur du ciel… Quelle urgence y a-t-il à nommer l’immensité ? Je continue de le citer : « Rien n'a changé dans notre vision. Pendant des siècles, nous avons eu la même capacité physique de voir des tons différents, mais pas le même besoin. Il était tout à fait normal de dire que la mer était noire, parce que quand elle est bleu foncé, elle paraît noire, et c'était suffisant à l'époque ; une société simple fonctionne parfaitement bien avec le noir, le blanc et un peu de rouge. Plus les sociétés progressent sur le plan technologique, plus l'éventail des noms de couleurs s'élargit. Avec une plus grande capacité à manipuler les couleurs et la disponibilité de nouveaux pigments, il est nécessaire d'affiner la terminologie. Et le bleu est le dernier parce qu'en plus d'être difficile à trouver dans la nature, il en a fallu beaucoup pour faire le pigment. Les anciens Égyptiens avaient un pigment bleu et un mot pour le nommer, mais c'était une société sophistiquée. Ce qui compte, ce n'est pas tant l'âge auquel ils ont vécu que le niveau d'avancement technologique. C'est ce qui correspond de très près au volume de vocabulaire des couleurs. »

Mais le vrai universalisme linguistique, celui que l’on pourrait appeler « extrémisme universaliste », c’est celui de l’universitaire-écrivain-philosophe-essayiste-homme politique-linguiste américain Noam Chomsky, « peut-être l’intellectuel vivant le plus important » selon le New York Times. C’est lui qui, dans les années 1960, proposa une idée révolutionnaire : nous serions tous nés avec une connaissance innée de la grammaire qui nous permettrait l’acquisition et l’apprentissage de toutes les langues — d’où le fait qu’il est très facile de devenir polyglotte avant l’arrivée de l’âge adulte et du creusage des rides. Le nom de cette idée révolutionnaire : la grammaire universelle. Cependant, cette théorie a longtemps fait l’objet de controverses, voire de critiques ; et elle le fait toujours. C’est pourquoi, en 2005, une autre étude a été faite, qui présente — vous le verrez — des preuves assez convaincantes suggérant que Chomsky avait peut-être raison depuis le début…

Pour cette étude, l’équipe, dirigée par un certain David Poeppel, a recruté des volontaires qui ont dû écouter des phrases en anglais et en mandarin — y compris des adages célèbres comme « New York ne dort jamais » et des phrases grammaticalement correctes mais à la signification floue —, mais aussi des suites de mots comme « œuf, gelée, rose, éveillé » ; le tout en effaçant toutes les preuves orales (intonation…) qui pourraient trahir une différence entre les deux. Cela garantissait que les indices grammaticaux émaneraient de l’esprit des sujets observés plutôt que des phrases elles-mêmes. Pendant que les cobayes écoutaient attentivement les mots et les sons, les chercheurs mesuraient l’activité de leur cerveau grâce à la magnétoencéphalographie et à l’électrocorticographie.

L’observation est alors stupéfiante : l’étude a révélé que l’activité cérébrale des volontaires changeait en fonction de s’ils écoutaient une phrase, une locution ou une liste de mots. Ce qui signifie clairement que notre cerveau peut faire la distinction entre des mots esseulés ou listés et des phrases construites ou connues, même dans une langue qui nous est inconnue. Alors, nous pourrions avoir, implantés dans notre esprit dès notre naissance, des couleurs communes ; ce qui expliquerait l’ordre d’apparition des termes de couleurs de base, l’universalité des couleurs focales et celle du découpage du spectre. Étonnant, non ?

Bien. Maintenant, récapitulons cette seconde et dernière partie. Le débat des termes basiques de couleurs se partage en deux camps : les relativistes ou culturalistes et les universalistes. Les premiers brandissent l’hypothèse de Sapir-Whorf, selon laquelle la langue que l’on parle influence notre perception du monde ; certaines langues n’ont pas de mot pour le bleu et quand on montre à ses locuteurs du bleu et du vert, ils n’arrivent pas à les distinguer. Cette hypothèse a été corroborée par beaucoup d’expériences, mais nombreux sont ceux qui la remettent en cause et la trouvent abusive. Les deuxièmes, après nombre d’hypothèses bancales, sont revenus tambours battants grâce aux progrès de la science et à l’apparition d’Internet. Ils brandissent l’étude de Berlin et Kay, qui parle d’elle-même. Cette deuxième théorie a aussi été confirmée par beaucoup d’hypothèses, mais elle aussi est souvent remise en cause, car elle est bien moins stable et beaucoup douteuse, bien qu’elle ait conquis énormément de personnes.

On a conclu récemment que ce débat binaire entre universalistes et relativistes ne menait à rien, qu’il faut aller chercher au-delà, et que la réponse à nos insatiables questions se trouve ailleurs, vers d’autres horizons…

Sources et références

(La langue des sources est indiquée par un digramme au début de la ligne. EN correspond à l’anglais, FR au français, ES à l’espagnol.)

Généralités :
 

FR Un article de L’Express, « Le bleu – La couleur qui ne fait pas des vagues » : https://www.lexpress.fr/culture/livre/1-le-bleu-la-couleur-qui-ne-fait-pas-de-vagues_819768.html


FR Un article de Wikipédia sur la perception du bleu pendant l’Antiquité et l’« apparition » de la couleur bleue : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bleu#Antiquit%C3%A9


FR Un épisode de « Sur le bout des langues », une émission qui passait sur à la télévision en Suisse : https://m.youtube.com/watch?v=SdWipSBm0o4&list=PL81CJUFgixPFexlVwuB8OBT13Yeysrovv&index=13&t=0s


EN (mais avec, si vous voulez, des sous-titres en FR) Une vidéo de Vox : https://m.youtube.com/watch?v=gMqZR3pqMjg


EN (mais disponible aussi en ES pour ceux qui veulent) Un article de The Conversation trouvé sur le site de la BBC (impossible de mettre la main sur l’original) sur la perception du bleu et de ses nuances particulièrement : http://www.bbc.com/future/story/20180419-the-words-that-change-the-colours-we-see
 

FR Encore un article : https://www.hisour.com/fr/color-term-23898/amp/
 

EN Un article Wikipédia sur le concept de relativité linguistique : https://en.wikipedia.org/wiki/Linguistic_relativity_and_the_color_naming_debate

Avant Berlin et Kay :
 

FR Un article de Libération, « En latin et en grec, il n’y a pas de mot pour dire bleu » : https://next.liberation.fr/livres/2000/10/19/en-latin-et-en-grec-il-n-y-a-pas-de-mot-pour-dire-bleu_341276


EN (disponible aussi en FR mais avec beaucoup moins d’informations) Un article de Wikipédia sur l’anthropologue William Halse Rivers Rivers et sur ses travaux sur les Papous : https://en.wikipedia.org/wiki/W._H._R._Rivers#Torres_Straits_Expedition

Berlin, Kay et leur livre :
 

EN Le document officiel (en PDF) de compte-rendu des expériences de Berlin et Kay : http://www1.icsi.berkeley.edu/~kay/claire7.pdf


EN Un article sur le livre de Brent Berlin et Paul Kay et la couleur rouge : http://nautil.us/issue/26/color/why-red-means-red-in-almost-every-language


EN Un autre document (en PDF) sur l'étude de Berlin et Kay (seulement la partie I) : http://ling-blogs.bu.edu/lx500f10/files/2010/09/lx500univf10-03a-colors-handout.pdf


EN Pour rechercher dans Basic Color Terms: Their Universality and Evolution : https://books.google.fr/books/about/Basic_Color_Terms.html?id=sGDxruwl9OkC&redir_esc=y


FR Un (très long) document intitulé Couleur, culture et cognition / examen épistémologique de la théorie des termes basiques de couleur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00464062/document

Inventaire de différentes langues :


EN Un document sur les couleurs basiques du turc et la raison pour laquelle elles posent problème (en PDF) : https://www.researchgate.net/profile/Emre_Ozgen/publication/287640550_Turkish_color_terms_Tests_of_Berlin_and_Kay%27s_theory_of_color_universels_and_linguistic_relativity/links/564867f008ae54697fbde55b/Turkish-color-terms-Tests-of-Berlin-and-Kays-theory-of-color-universels-and-linguistic-relativity.pdf


FR Un article sur le bleu dans les autres langues et dans les langues éteintes : https://www.regard-sur-limage.com/Le-bleu-et-l-aveuglement-au-bleu.html


EN Un article de Wikipédia qui compare les termes de couleur des différentes langues du monde : https://en.wikipedia.org/wiki/Color_term


FR Un article sur les termes de couleur de base à travers le monde et notamment sur ceux des Pirahãs : https://cafebabel.com/fr/article/la-couleur-des-langues-5ae00c55f723b35a145e863d/


EN Un article qui compare le vocabulaire proto-indo-européen, germanique et vieil anglais : http://www.aloveofwords.com/2009/09/09/basic-color-terms-germanic-old-english/


EN Une dissertation sur les couleurs en vieux norrois : https://scholar.colorado.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1001&context=gsll_facpapers

Relativisme :


EN (mais avec, si vous voulez, des sous-titres en FR) Une conférence de la scientifique cognitive Lera Boroditsky sur la façon dont le langage influence notre perception du monde. Elle commence à traiter des couleurs à partir de 6 min 47 sec, mais le reste est aussi très intéressant : https://www.ted.com/talks/lera_boroditsky_how_language_shapes_the_way_we_think/transcript?language=fr#t-731456


EN La page Wikipédia dédiée à Lera Boroditsky et à ses travaux sur la relativité linguistique : https://en.m.wikipedia.org/wiki/Lera_Boroditsky


FR Un article sur le relativisme linguistique et les travaux de Lera Boroditsky : https://sciencetonnante.wordpress.com/2014/01/06/la-langue-que-lon-parle-influe-t-elle-sur-notre-maniere-de-penser/


FR Une vidéo de deux linguistes sur l’hypothèse de Sapir-Whorf : https://m.youtube.com/watch?v=cb0yhDTtzc4


FR Un article sur l’étude des carrés vert et sur Homère : https://jacqueshenry.wordpress.com/tag/perception-des-nuances/


EN Un deuxième article sur l’étude des carrés verts avec des infographies : https://www.gondwana-collection.com/blog/how-do-namibian-himbas-see-colour/


FR Un document PDF intitulé La catégorisation linguistique des couleurs : niveaux d’élémentarité des noms de couleurs en français : http://cejsh.icm.edu.pl/cejsh/element/bwmeta1.element.desklight-c4a7af04-92fe-4411-9bca-16dfc394d193/c/cs.2014.012_ev.pdf

Universalisme :


EN Un article de The Conversation, « Languages don’t all have the same number of terms for colors – scientists have a new theory why » (« Les langues n’ont pas toutes le même nombre de mots de couleurs – les scientifiques ont une nouvelle théorie pour l’expliquer ») : http://theconversation.com/languages-dont-all-have-the-same-number-of-terms-for-colors-scientists-have-a-new-theory-why-84117


EN Si vous préférez, voici l’étude complète de la PNAS : https://www.pnas.org/content/114/40/10785


EN L’étude de la PNAS sur l’origine de la hiérarchie des couleurs de Berlin et Kay : https://www.pnas.org/content/109/18/6819.full


EN Le compte-rendu de l’expérience universaliste sur les bébés : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1262792


ES Un article de BBC Mundo intitulé « Pourquoi de nombreuses civilisations anciennes ne reconnaissaient pas la couleur bleue ? » avec l’interrogatoire de Guy Deutscher : https://www.bbc.com/mundo/noticias/2016/02/160217_griegos_color_azul_finde_dv


EN Un article de Medical Daily sur Noam Chomsky et David Poeppel : https://www.medicaldaily.com/noam-chomskys-theory-universal-grammar-right-its-hardwired-our-brains-364236

Fin

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