top of page

Étymologies en vrac 21

La règle d’accord du participe passé, « aboli bibelot d’inanité sonore »

Participe_passé.JPG

Bibelot, elle l’est. Inanité, quoi de mieux pour la décrire ? Sonore et abolie, au contraire, sont plutôt des perspectives utopistes que l’on a pour elle. Et tout comme ce vers de Stéphane Mallarmé, sont sens profond est difficile à percevoir, à saisir. Vous avez bien sûr deviné (mais quelle perspicacité !), il s’agit de la règle d’accord du participe passé avec les auxiliaires dans la grammaire française… On s’est tous essayé(s ?) à son apprentissage, usant de tous les moyens existants sur la planète Terre : des astuces mnémotechniques à la simple mais rébarbative technique du « par cœur » (je vous ferai certainement un jour une chronique sur cette drôle d’expression, d’ailleurs). Mais avec ses dizaines d’exceptions abracadabrantesques, elle est quasiment impossible à assimiler, et cela pour la simple et bonne raison qu’elle est totalement dénuée de logique !
Au Moyen Âge, quand le français n’était encore qu’un petit nourrisson maladif et instable, il existait déjà une convention pour l’accord avec l’auxiliaire être, une convention simple, sans secret, et logique par-dessus le marché. Elle est grosso modo la même qu’aujourd’hui : le participe passé, alors considéré comme une sorte d’adjectif, était accordé avec le sujet, ce qui est pour l’instant très facile à retenir. Quant à l’accord avec le verbe avoir, il se faisait au « feeling », en fonction de ce que disait l’oreille (nous étions encore à l’époque où la graphie et la prononciation se ressemblaient). Énorme pagaille donc, mais ce n’est pas non plus un drame.
C’est durant la Renaissance, quand François Ier, après sa triomphante bataille à Marignan, devint roi et accéda ainsi à une grande partie des pouvoirs, que tout commença à se compliquer. C’est justement ce souverain qui, en faisant du « françoys » la langue officielle de la religion, transforma notre langue du sol au plafond, et ce en ajoutant des lettres muettes un peu partout pour « coller à l’étymologie », un processus vain et absolument absurde, selon moi, et en stabilisant les règles grammatico-orthographiques.
C’est ainsi qu’il commanda à Clément Marot, son poète officiel, la rédaction d’une règle qui fixerait des limites claires, nettes et précises, et de les expliquer noir sur blanc à tous les Français. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le poème fut écrit et lu sur la place publique. Un extrait pour le plaisir des yeux : « Enfants, oyez une leçon : / Nostre langue a ceste facon, / Que le terme qui va devant, / Voluntiers regist le suyvant. / (…) / L'italien, dont la faconde / Passe les vulgaires du monde, / Son langage a ainsi basty / En disant : Dio noi a fatti. » Oui, en ce funeste jour du XVIème siècle, Clément Marot, digne Cadurcien, futur inventeur de la Pléiade, venait de plagier nos amis italiens pour les besoins de la langue française. Mais en même temps, que voulez-vous ? Parfois, les passions sont trop grandes, et les pulsions italianophiles de Marot l’ont poussé à rendre le français encore plus cauchemardesque, alors qu’il l’était déjà certainement…
La règle mit du temps à s’imprimer dans les cerveaux des hommes de lettres, et encore plus pour les citoyens ordinaires du royaume. Cependant, de nombreux accueillirent en grande fanfare cette nouvelle prescription qui mettait enfin les choses au clair. Mais on ne peut pas plaire à tout le monde : Louis Meigret, Duclos ou l'abbé Mallet par exemple auraient grandement préféré que le participe passé restât invariable sans aucune exception…
Au cours du XVIIème siècle, la plupart des écrivains rédigeaient toujours leurs textes selon les sonorités, même si on penchait de plus en plus pour un respect accru des lois de Marot… Vaugelas, linguiste éminent et dictateur de l’époque, vint également fourrer son long nez aquilin dans cette fâcheuse affaire. Il n’aurait pas dû : car il ne fit que rajouter du foin du la pauvre aiguille anéantie. À partir de son intervention, et toujours aujourd’hui, l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir censé se faire si précédé d’un COD ne se fait finalement plus s’il est suivi, même indirectement, d’un verbe à l’infinitif, d’un attribut, du sujet ou d’un complément prépositionnel (« C'est une fortification que j'ai appris à faire », « Les habitants nous ont rendu maître de la ville », « La peine que m’a donné cette affaire »). Et voilà que Vaugelas commence à délirer, et à devenir narcissique au point de qualifier sa trouvaille de « belle et curieuse exception ». Tu parles !
Maintenant que nous avons brossé un éloge funèbre de nos chers linguistes destructeurs de langue, passons au plat de résistance, le sujet fâcheux, le sujet tabou qui s’impose maintenant : mais d’où vient cette satanée règle italienne ?? Du latin, vous répondrais-je. En effet, dans cette langue ancestrale et ô combien sacrée, on accordait déjà le participe passé avec le cas accusatif (l’équivalent de notre complément d’objet direct, donc). La seule énigme qu’il reste et qu’il faut résoudre si vous ne voulez pas que je sombre dans la folie est de savoir comment cette règle latine a-t-elle fait son apparition ? Car, à moins qu’il existe une logique que seuls les génies les plus exceptionnels peuvent distinguer, nous, membres du vulgum pecus, du commun des mortels, restons et resterons éternellement cois face à cette abomination ou ce présent linguistique…

Une question ? Une réaction ? Une correction ?
bottom of page