Mot 42 : mélisme, « une virtuosité diabolique »
- La Peinture des Mots
- 18 déc. 2018
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Il était une fois, une famille libanaise prospère, une ribambelle d’artistes musiciens, poètes et journalistes. Au pied du glorieux arbre généalogique de cette famille, se trouvt un célèbre trompettiste qui était marié avec une pianiste, Nada. Leur vie était heureuse et rien ne semblait pouvoir troubler l’océan limpide de leur routine, rien, sauf une guerre civile. Elle éclata. Nassim et Nada eurent un enfant, Ibrahim. Ibrahim Maalouf. Un enfant qu’ils ne purent enregistrer à l’État civil qu’un mois après sa naissance. De tristes événements s’ensuivirent. Ibrahim, Layla et leurs parents durent fuir le Liban, au profit d’un petit appartement dans la banlieue de la ville Lumière. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils devaient perdre leur dignité et passer l’éponge sur le passé. Ibrahim suivit des études brillantes et obtint, les mains dans les poches, un baccalauréat scientifique. Mais ce qu’il aimait plus que tout, c’était la musique. Et il avait la chance d’être entouré des bonnes personnes pour cette activité. Déjà, il s’était appliqué dès l’âge de sept ans à apprendre le solfège et la trompette. La musique, il voulait la dompter, en faire un serpent docile. Et pour cela, il avait besoin d’ajouter une goutte orientale dans la musique européenne. Alors, son père, bricoleur et connaisseur, lui fabriqua une trompette à quatre pistons, dont le dernier lui permettait de réaliser des quarts de tons, aussi nommés mélismes.
Au départ, l’utilisation des mélismes était réservée à la musique religieuse et sacrée. Leur rôle était d’ouvrir les portes à la transe hypnotique, autrement dit, pour charmer et envoûter. Et on les retrouvait particulièrement dans les chants juifs, hindous ou musulmans, même si l’origine de ce mot est grecque. Plus précisément, mélisme est issu du grec ancien « μελίζω » (« mélízô »), verbe traduisible par « chanter » ou « moduler », qui donna ensuite « μέλισμα » (« mélisma », « modulation »). La magie du mélisme naît de l’augmentation d’une mélodie simple grâce à une broderie, c’est-à-dire une note inexistante, involontaire et pourtant audible. Cela crée une sorte d’illusion auditive. Pour simplifier les choses, dites-vous qu’un mélisme est la variation d’une même syllabe en plusieurs notes (en général trois notes proches consécutives), celle qui est si typique des musiques maghrébines et espagnolisantes. L’inverse du chant mélismatique, celui donc où l’on décline le même son en plusieurs notes, est le chant syllabique, qui est plus coupé, sec et où chaque son est une note, plus ou moins longue.
Ibrahim Maalouf est l’un des premiers musiciens français à utiliser cette fameuse trompette dite « microtonale ». Il est même un des précurseurs de la musique jazz, de la trompette telle que l’on l’écoute et la connaît maintenant. À travers cette histoire anodine, se trame une véritable morale et un sujet que l’on pourrait approfondir toujours plus. La musique peut-elle soigner ? De nombreuses études sont menées chaque jour pour le savoir, mais le sujet ne fait que devenir de plus en plus compliqué. Et si la réalité était en fait au-delà de la réflexion complexe ? La résolution du mystère est peut-être si simple que nos yeux sont trop complexes pour la percevoir. La musique peut-elle soigner ? Eh bien, vous avez à présent la réponse : oui. Car même si n’importe quoi peut briser le cœur, seules certaines choses peuvent le panser et le réparer, et l’une de ces choses, c’est la musique.
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