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Dix fausses fautes pour combattre le pédantisme

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Qui ne s'est jamais fait reprendre en écrivant « autant pour moi », ou corriger en disant que la tomate est un légume ? Qui n'a jamais commis la terrible erreur de violenter un des adeptes du « sans dessus dessous » ou de « un espèce d'être étrange » ? Dans cet épisode, vous découvrirez dix fausses fautes pour combattre le pédantisme qui réside chez beaucoup d'« amoureux de la langue française »...

Dire que la tomate est un légume, c'est une faute

FAUX

Mais en quoi cela concerne-t-il la linguistique ? me demanderez-vous d'une voix désintéressée. Et je vous répondrais que tout est une question de définitions...

Dans le monde, il y a deux catégories distinctes de gens : ceux qui considèrent la tomate comme un légume (en général les plus « naïfs ») et ceux, plus « intelligents », qui défendent que c'est un fruit, et qui aiment parfois à corriger les membres du clan opposé. Sauf que dire que la tomate est un légume, ce n'est pas faux. C'est même complètement vrai.

Commençons par le début et ouvrons un dictionnaire, car c'est dedans que se trouve la clef de la connaissance. Ce dernier nous indique que l'on qualifie de fruit l'« organe végétal, issu du développement de l'ovaire, à la suite de la fécondation des ovules, et qui, à maturité, contient les graines. » (Larousse) ; c'est donc un terme scientifique et je conviens volontiers que la tomate est dans ce cas-là. Toutefois, jetons un oeil à ce qu'est à proprement parler un légume. « plante cultivée dont on consomme, selon les espèces, les feuilles, les racines, les tubercules, les fruits, les graines ; partie consommée de cette plante. », nous répond le Larousse. Et là encore, on peut reconnaître la tomate.

Si nous récapitulons, nous nous retrouvons devant un schéma extrêmement simple : la science contre la cuisine. Car, vous l'aurez compris, légume n'est pas un terme botanique (la carotte est un tubercule, le poireau une tige, l'artichaut une fleur... mais on les considère tous comme des légumes). En revanche, fruit pose plus de problèmes, car il est à la fois scientifique et culinaire. Biologiquement parlant, la courgette est un fruit, mais culinairement, c'est un légume. Inversement, la fraise n'est, dans le jargon noétique en tout cas, pas un fruit (ces derniers sont en fait les petits points jaunes dont elle est constellée), mais culinairement, elle en est un.

Et pour la tomate ? Elle est fruit quand elle naît, quand elle grandit, quand elle mûrit, quand elle se fait cueillir ; mais elle est légume quand on l'épluche, l'assaisonne, la cuit, et la consomme.

L'expression « un espèce de... » suivie d'un nom masculin est incorrecte.

DISCUTABLE

Combien de fois, au cours de notre jeunesse, et même adulte, s'est on fait reprendre après avoir parlé d'« un espèce de personnage » ou d'« un espèce de gâteau crémeux » ? Et souvenez-vous l'envie ô combien compréhensible d'abolir la langue française après avoir appris cette règle logique et illogique à la fois ?

Comme vous l'avez probablement remarqué en lisant l'inscription orangée au début de cette entrée, dire « un espèce de meuble » n'est pas, à tous les égards, une erreur. Je vous explique…

D'un point de vue strictement grammatical, les correcteurs ont totalement raison. En effet, il se trouve que le substantif espèce est féminin, et qu'il convient donc, même s'il est suivi d'un nom masculin, de conserver ce genre en lui apposant le déterminant une plutôt qu'un.

Cependant, d'un point de vue stylistique, le débat peut être mis sur la table car il existe une figure de style qui permet ce genre d'erreurs. La syllepse (du grec ancien « σύλληψις », « súllēpsis », littéralement « action de prendre ensemble, d’embrasser, de comprendre ») est un procédé qui consiste à faire passer le sens avant la grammaire. C'est-à-dire que pour frapper le lecteur, on fera abstraction de la règle (en l'occurrence, celle d'un nom féminin) pour laisser toute sa place au cœur de la phrase (car c'est sur le nom masculin qui suit que l'on veut mettre l'accent). Par ailleurs, la syllepse fonctionne également avec les phrases du type « Elle a l'air anxieuse » : si on avait voulu respecter la règle scrupuleusement, on aurait écrit « Elle a l'air anxieux », car c'est grammaticalement l'air qui est anxieux. Mais grâce à cette figure, on peut accentuer sur le fait que c'est elle qui est anxieuse, plus que son air, et ainsi jouer avec les règles pour choquer encore plus. C'est aussi la syllepse qui nous permet d'écrire : « Une personne m'a dit l'autre jour qu'il avait un nouvel appartement. » Le sujet est en l'occurrence féminin (Une personne) mais on utilise le pronom masculin (il) pour mettre l'accent sur le fait qu'il s'agit d'un homme ou pour faire part de ses doutes (le masculin étant par convention le genre neutre).

« Autant pour moi » est une graphie fautive. (La correcte étant « au temps pour moi »)

FAUX

Depuis la nuit des temps, ce débat ensanglante les places publiques et autres forums virtuels comme celui autour de la chocolatine ou du pain au chocolat. S’affrontent, comme d’habitude, deux camps complètement opposés : les défenseurs d’« au temps pour moi », plus « mûrs », plus puristes en tout cas, et les défenseurs d’« autant pour moi », plus « amateurs », ou, au contraire, des gens comme certains grammairiens et moi, qui s’auto-proclament chercheurs de fond (sans aucune vanité, bien évidemment). Les premiers défendent l’étymologie, les seconds brandissent une implacable logique. Alors, passons aux arguments...
Mais tout d’abord, un petit point important : que pense l’Académie française ? Eh bien, vous deviez vous y attendre, elle prescrit l’écriture en deux mots, la reliant à une expression militaire : « au temps ! » que l’on employait autrefois afin de commander une reprise de l’action depuis le début. Mais comment un tel glissement sémantique a-t-il pu se produire ? me demanderez-vous, intrigué. Et je vous répondrais ce qu’a dit l’Académie : on n’en sait rien. Je cite : « Il est impossible de savoir précisément quand est comment est apparue l’expression familière « au temps pour moi » ». Et conclut par la sentence énigmatique que voici : « L’origine de cette expression n’étant plus comprise, la graphie « Autant pour moi » est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie. » Ah bon ? En êtes-vous vraiment persuadés ? Toutefois l’Académie française n’est pas la seule à préconiser l’écriture en deux mots : le dictionnaire Littré, la dictée de Bernard Pivot et de nombreux sites de la Toile tranchent largement en sa faveur, avec toujours cette étrange étymologie militaire, bien que d’autres hypothèses curieuses soit aussi présentes çà et là. D’ordre musical, tout d’abord : selon ces théories, un chef d’orchestre utilisant l’expression « au temps ! » demande à ce qu’on reprenne le rythme correct du morceau. D’ordre sportif, ensuite : « au temps ! » servirait en gymnastique à ordonner que l’on recommence un mouvement. Le seul hic de ces deux origines : aucune ne tient debout. Jamais, au grand jamais, cette locution n’a été usitée dans ces domaines, et vous, qui faites peut-être de la musique ou de la gymnastique, devez le savoir...
Les défenseurs d’« au temps pour moi » citent souvent Georges Courteline pour justifier leur choix, ou plus précisément un extrait de son ouvrage Le train de 8h47 (1888) : « Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça ! » Oui, certes, l’expression « au temps » y est utilisée, à deux reprises même, et je ne serais pas tenté un instant de nier son existence, mais il y a quand même un problème qui saute aux yeux : rien ne prouve que c’est cette interjection qui a donné « au temps pour moi ». Oui, mais jetez un coup d’œil au dixième chapitre de Sous Verdun, (1915) le livre de Genevoix... me proposerez-vous malicieusement. Et vous auriez raison, car on y trouve en effet deux occurrences très intéressantes à analyser : « — Cessez le feu ! Au temps ! Au temps pour moi ! — Ah, vous croyez ? En ce cas, au temps pour moi, la rafale est passée (...) ». Mais maintenant, voyons quels écrivains se positionnent en faveur de l’orthographe en un mot... Ponchon, puis Géraldy, en 1921 (Aimer) : « Alors, autant pour moi !... Je me suis trompé !... Je vous demande pardon ! »
De deux choses l’une : déjà, on remarque que l’écriture « au temps pour moi » a le don d’être plus ancienne ; cependant, « autant pour moi » a, dès son apparition, un sens plus proche de celui qu’on lui connaît actuellement.
À présent, que disent les statistiques ? Surprise : dans un gigantesque corpus de plusieurs millions de textes écrits entre 1500 et 2008 — celui de Google Books en l’occurrence —, « autant pour moi » est largement gagnante. Et je vous vois venir, assoiffés de savoir, prêts à vous engager dans les méandres de la linguistique, éternels questionneurs : « Ces données sont de toute manière erronées, puisqu’« autant pour moi » peut également avoir un sens radicalement différent ! » Mais ne vous inquiétez pas, j’ai veillé à ne considérer que les expressions en début de phrase (« autant / au temps pour moi » étant des interjections, donc souvent à cet endroit, contrairement à l’autre sens dont vous parliez).
Le 18 décembre 2003, Claude Duneton, éminent journaliste et amoureux de la langue, dans Le Figaro, a consacré sa chronique au sujet qui nous occupe en ce moment. Il y explique que, personnellement, il préfère la graphie « autant pour moi », en un seul mot et avance, pour appuyer sa position, de nombreux arguments qu’il est grand temps de consulter. Il invoque par exemple une autre expression rapportée par le Littré, « il ne lui en faut plus qu’autant », que l’on utilisait pour une personne qui vient de traverser une dure période de maladie, mais qui s’est rétablie. On retombe alors dans le même état de questionnement qu’il n’y a quelques minutes : comment a-t-on pu transformer à ce point le sens de cette locution ? Aucune idée... Il y parle aussi d’une expression sur laquelle il serait bénéfique de s’attarder : autant pour le brodeur, attestée en France depuis le XVIème siècle déjà. À l’époque, le verbe broder était déjà synonyme de fabuler, mentir, et cætera... On l’utilisait principalement à l’oral, dans des discussions, pour signaler à son interlocuteur son scepticisme. Le changement se serait opéré en remplaçant le brodeur par sa propre personne, transformant « autant pour le brodeur » en « autant pour moi ». C’est alors que tout rentre en l’ordre, car si on suit cette hypothèse, « autant pour moi » signifierait profondément « j’te raconte des craques ! », ce qui est exactement le cas (le monde est bien fait, quand même...)
On peut également se baser sur des traductions, telles que « so much for... » en anglais, que l’on traduit littéralement et intelligemment par « autant pour... » Coïncidence ? Oui, je crois. Après tout, c’est bien la seule langue où une expression comme celle-ci se retrouve. Et enfin, l’argument le plus facile et un des plus probables selon moi est que la forme « au temps pour moi » serait un cuistre. Je m’explique : un cuistre est une forme pédante, ce qui signifie qu’elle a été créée pour « se la péter ». Et ce n’est pas la première fois que ce phénomène a lieu : les mots nénuphar ou poids, par exemple, contiennent des lettres et des digrammes superflus qui n’ont aucune valeur étymologique (PH pour le premier, D pour le second) ; je citerai aussi entretemps, où le problème est très similaire, puisque l’écriture correcte devrait normalement être entretant. C’est fou à quel point l’être humain est prêt à sacrifier la logique contre la complexité !
Bon, en fin de compte, que retenir de ces longues palabres ? Un message de paix, assurément... Arrêtez de vous battre, de vous écharper, arrêtez de corriger et de traiter, personne n’a raison sur ce compte, et sentez-vous libre de faire ce que bon vous semble.

Le pluriel de scénario est scénarii

FAUX

La plupart du temps, les « puristes » de la langue française sont attachés à l’origine des mots qu’ils emploient. Souvent, ils préfèrent les doter de leur pluriel original mais irrégulier plutôt que de les affubler d’un simple S (ce serait trop facile). Cela fonctionne très bien pour sandwiches ou supernovæ, par exemple ; mais tout se complique quand on ne connaît pas l’étymologie dudit mot ou quand on arrive dans les méandres latinistes (le pluriel de vidéo n’est pas videamus, alors qu’il était ainsi en latin (« video » étant une forme conjuguée…))
Quant au pluriel en -ii, il est l’absurdité incarnée. Déjà, il n’existe pas officiellement en français (il est considéré comme une forme abusive et n’est pas reconnu par la plupart des correcteurs automatiques). Ensuite, il n’existe plus en italien depuis le XVIème siècle, soient cinq cents ans ! Il est encore utilisé quelquefois de manière très soutenue et prétentieuse par des puritains qui cherchent délibérément à latiniser leur texte, quitte à user d’une forme vieillie, voire archaïque, qui n’est pas comprise par tout le monde. Et pour terminer, sachez que dans une grande partie des cas, le latin n’a rien à voir là-dedans, car les pluriels en -ii y sont excessivement rares ; ce n’est qu’un prétexte bidon. Il vaudra mieux, par conséquent, écrire scénari (même si c’est quand même vachement tiré par les cheveux) ou le régulier scénarios, autorisé depuis décembre 1990 et dont l’apprentissage est obligatoire depuis 2008.
Je ne dis évidemment pas que vous n’avez pas le droit d’utiliser les pluriels irréguliers pour donner un profil plus « galbé », plus « propre » à votre écriture ; il n’est pas question de lancer un énième débat. Il m’arrive parfois d’en utiliser moi-même, mais en esquivant les déclinaisons inutilement absconses pour ne pas gêner le lectorat. Je demande juste à ce que les supporteurs de scénarii aient conscience qu’ils usent d’une forme abusive, injustifiée et qu’ils ne se mettent pas en tête de corriger les autres de façon aussi abusive et injustifiée…

Le verbe générer n’existe pas

FAUX

Le 6 octobre 2016, sentant une forte dégénérescence dans notre langue française, sentant une aggravation drastique de la situation, l’Académie française (organisme qui prend des positions qui me déplaisent le plus souvent…) s’est fendue d’une chronique meurtrière sur le sujet. Je cite : « Comme les chats, le verbe générer semble doué de plusieurs vies. Il apparaît une première fois au tournant du XIIe siècle, avec le sens de « régénérer quelqu’un par la vertu du baptême », et remplaçait alors une ancienne forme gendrer. Cette première vie s’achève avec le Moyen Âge. Générer revient au XVIe siècle avec le sens d’« engendrer, produire », mais ces derniers termes, bien plus en usage, vont vite l’éliminer. Nouvelle naissance au siècle dernier dans le domaine des mathématiques et de la linguistique, où il est cette fois emprunté de l’anglais « to generate ». (…) On doit préférer à cet anglicisme des formes comme engendrer, faire naître, provoquer, causer, produire, etc. » 
Alors – et ce même si cela ne m’aurait pas déplu – je ne vais pas vous faire le coup du très récurrent : « C’est l’usage qui forme la langue, les mots ne doivent pas êtres régis par un unique organisme, et cætera… » car je sens bien que ces capucinades n’impacteront (et j’ai fait exprès d’utiliser ce verbe pour endêver l’Académie) en aucun point l’avis de ces conservateurs bornés. Tout d’abord, il faut corriger une grosse bourde qui me semble plus proche du sophisme qu'autre chose : ce verbe n’a, depuis le XVIème siècle, jamais disparu de façon totale. On constate grâce au logiciel Google Books Ngram Viewer, site qui permet de générer (je vois déjà Madame Carrère d’Encausse au bord de l’accident cardiaque) des statistiques linguistiques sur un corpus de plus de quinze millions d’écrits, que le verbe générer – à l’infinitif – a toujours, depuis 1570 environs, été employé dans un certain nombre de textes. Mieux encore : la forme généra (troisième personne du singulier au passé simple) connaît un pic en… 1794 !
Ensuite, voyez le traitement que fait le billet de l’Académie à la « renaissance » de ce mot, celle qui se déroula « au siècle dernier ». Un, elle n’a jamais eu lieu, puisque le mot n’est jamais mort. Deux, on accuse l’anglais, sauf que c’est faux. Car si le mot n’est pas mort, il n’y a aucune raison pour qu’il soit emprunté à l’anglais. Certes, son usage c’est peut-être accru grâce à la pression de l’anglais, mais ce n’est pas du tout la même chose. Troisièmement, le fait que l’utilisation de générer ait été impulsée par l’anglais ne constitue en rien une preuve pour que l’on arrête de l’utiliser – à ma connaissance en tout cas.
Ah oui ! Une derrière petite chose qui n’a (presque) rien à voir, à l’intention de Monsieur Philippe Delaroche. Quand vous écrivez : « À côté des verbes irréguliers, s'est constituée depuis les années 1980 une nouvelle famille, celle des verbes laids. Sont apparus valider, checker, initier, générer, impacter. Ils font autorité plus qu'ils ne signifient. Ils attestent de l'appartenance du locuteur à la sphère manageuriale. » (Caïn et Abel avaient un frère, en 2000), faites attentions aux mots que vous utilisez (manageuriale, cela n’existe pas…)

Vous avez une question, un commentaire, une correction à apporter, un débat à relancer ? Il vous suffit de remplir ces quelques cases !

Il faut écrire « les orgues sont belles » et non « les orgues sont belles »

DISCUTABLE

On a tous déjà entendu parler des « trois ». Et je ne parle ici ni des Brontë, ni des Gorgones, mais des trois noms masculins qui deviennent subitement, et par on-ne-sait-quelle magie, féminins, quand on les passe au pluriel (plus exactement, on connaît la cause de ces désagréments : allez voir ici). Ce sont les très célèbres amour, délice et orgue. Cependant, ce dernier pose une ambiguïté qu'il serait mauvais d'omettre : les orgues ne sont féminines que si elle ne forment qu'un ensemble, que l'on nomme orgue également. Quant à ces ensembles, ils sont masculins et le restent éternellement, même s'ils sont deux, trois, ou douze mille six cent-quatre-vingt-dix-sept.

Donc, si vous êtes organiste et que vous faites vos courses chez un instrumentiste, vous verrez de beaux orgues, et non de belles orgues.

Dans la version originale de Cendrillon, on ne fait jamais mention de « pantoufles de verre », mais de « pantoufles de vair »

FAUX

Ce débat anime la Francophonie depuis des dizaines, voire des centaines d'années, et chacun a sa propre opinion sur la matière dont sont constitués les escarpins minuscules de la capricieuse Cendrillon. Et comme dans le cas de la controverse autour de la tomate, on retrouve deux catégories de personnes : les plus « naïfs », en général plus jeunes, qui ne se posent pas véritablement la question, partant du principe que, de toute façon, elles sont en verre, et les plus « raisonnables », qui se surestiment, se considèrent plus élevés d'un point de vue culturel, et bannissent cette orthographe au profit d'une pantoufle d'hermine, ou de vair.

Ces derniers utilisent un argument d'autorité, qui consiste à se baser sur les propos d'une figure importante, qui a légitimement la mainmise sur le bon usage d'une écriture plutôt qu'une autre. Sauf que très souvent, le doigt est enfoncé beaucoup plus profondément que ce que l'on croirait. Car cette figure d'autorité ne dit pas forcément la vérité, et n'a de toute façon aucun impact sur la façon dont la langue fonctionne. Dans le cas de cette polémique homophonique, l'argument d'autorité abonde plutôt dans le sens d'une pantoufle molletonnée en vair…

Tout commença en 1841, à la parution d'un bouquin d'Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis, où il relance, à travers la parole d'un de ses personnages, un débat qui semblait être clos : « Dans un nombre infini d'éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre. » Cette goutte d'eau fit déborder le vase et provoqua alors une polémique monstre, et Émile Littré s'empara immédiatement de la question qu'il moissonna avidement dans son dictionnaire de la langue française. Et, « au nom de la raison », il se place du même côté que son collègue Balzac. Anatole France ne tarda pas à les rejoindre : « C'est par erreur, n'est-il pas vrai, qu'on a dit que les pantoufles de Cendrillon étaient de verre ? On ne peut pas se figurer des chaussures faites de la même étoffe qu'une carafe. Des chaussures de vair, c'est-à-dire des chaussures fourrées, se conçoivent mieux, bien que ce soit une mauvaise idée d'en donner à une fillette pour la mener au bal. », suivi de Pierre Larousse (« Les éditeurs de contes de fées ont-ils mis verre à la place de vair par ignorance ou pour augmenter le merveilleux du récit ? Nous ne savons pas. Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’au temps de Perrault le vair était bien connu comme une des fourrures du blason et que, malgré son goût pour le merveilleux, il n’a point eu la pensée de chausser sa petite Cendrillon avec du verre. On peut supposer que, plus tard, la science du blason étant tombée dans l’oubli, un imprimeur aura cru corriger une véritable faute en remplaçant vair, mot qui lui était inconnu, par verre ») et d'une flopée de lecteurs. Et c'est ainsi que naquit une de idées reçues les plus persistances au monde… Une idée reçue que je vais tenter de démolir ici avec le plus de brio possible.

Replaçons les choses dans leur contexte. La version « originale » de Cendrillon paraît en 1697, et fut publiée du vivant de Charles Perrault, ce qui élimine d'entrée la dernière hypothèse selon laquelle la confusion aurait été causée par l'imprimerie. D'autant plus, son titre n'est pas exactement le même : au nom de l'héroïne, Cendrillon, on accole la proposition « ou la Petite Pantoufle de Verre », ce qui éloigne toute autre ambiguïté phonétique.

Remarquez également que la plupart des traductions étrangères de ce conte mentionnent une chaussure de verre (« esclapon de veire » en occitan, « glass slippers » en anglais et cætera…) Certaines mettent plutôt en scène une pantoufle d'or ou d'argent, tandis qu'une ambitieuse version danoise préfère y aller fort avec deux paires enfilées de manière superposée pour éviter tout contact avec la boue.

Enfin bref, il n'y a pas que vous qui êtes tourmenté par cette histoire abracadabrantesque et par ce dialogue entre sourds qui divise à ce point.

On doit écrire « sens dessus dessous »

FAUX

Je sais à quoi vous vous attendez. Vous commencez à me connaître, depuis tout ce temps, ou tout simplement depuis le début de cet article, et vous avez certainement compris où je veux en venir : « L’Académie française fait n’importe quoi, ce n’est qu’un ramassis de vieillards conservateurs, aigris et absurdes ; même si elle recommande cette graphie, c’est un cuistre, étymologiquement infondé, il faudrait normalement écrire « sans dessus dessous », parce que c’est plus logique, et cætera… » Et même si vous avez raison pour ma pensée autour de l’Académie française et mon opinion sur l’emploi de « sens dessus dessous » (ce n’est plus une surprise !), vous avez tort sur un point. Même si, aux XVIème et XVIIème siècle (l’apogée de la langue française si on en croit Pivot, Carrère d’Encausse et compagnie), c’était ainsi qu’il fallait l’écrire (et en plus, c’est l’Académie qui le demandait !!), l’expression « sans dessus dessous » n’est pas, étymologiquement parlant, plus correcte.
Je développe. Au départ, l’expression était la suivante : « ce qui est en dessus, mis en dessous ». Mais comme elle était, à l’oral comme à l’écrit, inutilement longue, les Francophones préférèrent opérer une syncope. Et quand je parle de syncope, je ne veux pas dire que l’on a décidé de se réunir sur la place publique pour faire un arrêt cardiaque collectif, non ; car la syncope est, d’un point de vue stylistique, le découpage et le retranchement de certains éléments d’une expression donnée. Ou, autrement dit, « ce qui est en dessus, mis en dessous » a progressivement été écourtée en « c’en dessus, dessous ».
Évidemment, ne vous sentez pas forcé de changer vos habitudes quotidiennes pour opter en faveur de cette troisième variante casse-cou, mais sachez que vous serez dans l’erreur en ne le faisant pas, autant que votre collègue, en tout cas, peu importe sa préférence pour « sans » ou « sens ».

Le mot gif doit se prononcer « jif » car c’est son créateur qui l’a dit

FAUX

Vous avez bien quelques minutes à m’accorder ? Alors, laissez-moi le plaisir de dépeindre pour vous le décor d’une bataille sanglante qui sévit — bien plus qu’on ne le croirait — dans toute la Francophonie et l’Anglophonie.
Nous sommes en 1987. En cette année quelconque, Steve Wilhite, informaticien dirigeant de la société CompuServe, rend officielle la création d’un nouveau format d’image numérique : le Graphics Interchange Format (littéralement « format d’échange d’images »), aussi connu sous son acronyme GIF, qui est depuis entré dans le langage oral et la plupart des dictionnaires français et anglais. Or, en faisant abstraction de la définition de ce mot, il restait un élément qui faisait terriblement polémique dans les rangs populaires : la prononciation…
Au départ, le dictionnaire Oxford de l’anglais prescrivait que l’on dise /dʒif/ (« djif ») au lieu de « gif » (avec un G dur), mais, après un tollé monumental, les deux façons de prononcer finirent par entrer dans la norme. Était-ce judicieux ? Non. Car cette détente, cette relaxation du pouvoir autoritaire (le dictionnaire, en l’occurrence) n’a fait qu’accroître la soif des Anglophones de savoir ce qui était correct — ou non.
À partir de mai 2013, la situation se fait de plus en plus grave. Alors, en le dix-neuvième jour de ce mois qui s’annonçait funeste, Barack Obama, président de la République américaine, prit la décision peut-être trop maladroite, de rendre à César ce qui appartenait à César. C’est ainsi qu’il signa, par le truchement d’une innocente infographie publiée sur Tumblr, son arrêt de mort ; car selon lui, on doit prononcer « guif ».
Autant le dire, la Maison Blanche n’obtient pas immédiatement le succès escompté, mais sa position fut remarquée par l’œil de lynx de Steve Wilhite, créateur du susdit format, rappelons-le, qui, se sentant plus proche de la mort que de la vie, décida de mettre un terme à ce débat inutile. « It’s pronounced « jif », not « gif » ». Le verdict est lourd, abominable, tranchant, cruel, mais voilà au moins qui est fait ; et voilà que déjà fusent les articles en tous sens pour relayer cette révélation, ce scoop que l’on attendait depuis plusieurs dizaines d’années ; et voilà que la presse francophone s’empare du sujet encore brûlant, commettant sans s’en rendre compte une terrible erreur…
Et voilà que Barack Obama rétorque : « Je suis au-dessus de tout ça. (…) C'est ma position officielle. J'y ai longuement réfléchi. » Se lance alors un terrible combat auquel on aurait tous dû s’attendre ; doit-on prononcer /gif/ (comme dans garçon) ou /ʒif/ (comme dans jarret) ? Depuis plus de cinq ans donc, s’affrontent sur le ring ces deux camps distincts qui revendiquent chacun le bon usage, à coups d’articles et de sondages… (Quant à ceux qui prononcent /dʒif/ (« djif »), je ne vous ai pas oublié).
Si l’on en croit les principaux sondages réalisés sur la question, la prononciation /ʒif/ est la plus commune dans la Francophonie. Et les arguments que l’on trouve le plus souvent en leur faveur sont au nombre de deux. Le premier est l’argument le plus « naïf » utilisé par ceux qui n’ont pas nécessairement trop fouillé avant de parler. En français, le G, lorsqu’il est placé devant les voyelles E, I ou Y, se prononce de la même manière que le J, ou, de manière plus scientifique, sous la forme d’une consonne fricative palato-alvéolaire voisée (ça vous en bouche un coin, hein ?). C’est donc un argument qui se veut logique et d’une simplicité légendaire.
La deuxième justification qu’ont les défenseurs du GIF doux (« jif ») est d’une nature plus « recherchée » ; c’est-à-dire qu’elle est plutôt employée par des gens qui se sont intéressés au sujet… mais pas assez. Elle consiste à dire que l’on prononce le mot GIF « jif » parce que son créateur l’a dit. Or, c’est faux, du début jusqu’à la fin. Tout d’abord, un petit point grammatical extrêmement court : en anglais, le phonème /ʒ/ n’existe pas, à part dans les emprunts et dans des cas de substitution au phonème /z/. Ainsi, vous comprendrez que Steve Wilhite n’a jamais pu prescrire cette prononciation, mais la suivante : /dʒif/ (« djif »). Le problème de toute cette affaire, c’est que l’annonce de son choix n’a été faite qu’à l’écrit et non à l’oral. Quand les médias francophones ont relayé l’information, ils ont fait omission d’une règle très importante en anglais : le J s’y prononce /dʒ/. Deuxièmement, ce n’est pas Steve Wilhite qui a créé le mot GIF ; il n’a inventé que le format ainsi nommé. L’appellation GIF, ainsi que sa prononciation, sont nées par « génération spontanée » ; c’est-à-dire que c’est le peuple qui les a forgées. Troisièmement, sachez qu’aux États-Unis, Jif est aussi une marque de beurre de cacahuète. Et que Steve Wilhite s’est servi de cette proximité à des fins publicitaires. Par conséquent, l’argument d’autorité (celui qui se base sur les déclarations de quelqu’un) dans ce camp-là est complètement pourri.
Mais ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas, il y a également pas mal de pourriture de l’autre côté de la ligne rouge. Car ce qu’a dit Barack Obama, et ce qui sert quand même d’appui à de nombreuses personnes, est vide de sens : l’ex-Président des États-Unis n’a donné que son avis, il n’a jamais dit une seule fois qu’il fallait prononcer comme lui. Figurez-vous par ailleurs qu’il est dans la majorité de son pays, pays anglophone, au passage, langue où la prononciation utilisant le G dur est bien plus fréquente. D’ailleurs, une grande partie des défenseurs de cette prononciation en France utilisent ce même argument : celui qui est de respecter la prononciation originelle, donc anglaise… alors qu’elle aussi fait débat. Et enfin, la dernière raison potentielle que l’on trouve souvent est qu’il faut prononcer un G dur comme dans « graphics », qui représente en effet le premier mot dans « Graphics Interchange Format ». Or, cela nous amène à un autre problème de la langue française : les acronymes. Car, comme l’indique leur définition, ils se prononcent comme étant des mots à part entière (laser et radar, par exemple, sont des acronymes), en faisant abstraction des mots d’origine : le terme CEDEX se prononce bien /sedɛks/ et non /kedɛks/ alors que le C correspond à courrier. Évidemment, il existe mille et uns contre-exemples de ce que je vous raconte (l’ASCII par exemple, que l’on préfère dire /askii/ plutôt que /asii/, le C symbolisant le mot « code », en anglais), mais la plupart sont anglophones, une langue dans laquelle le C peut se prononcer /k/ n’importe où (« syncing » ou « soccer » par exemple).
Le principal problème du français ou de l’anglais dans ce débat, c’est qu’il s’agit de deux langues où les sons /ʒ/ et /g/ existent, contrairement à de nombreux autres idiomes comme l’espagnol qui n’a pas de G doux ou l’arabe qui n’a pas le dur (voir la carte ci-dessous)…

La prononciation de gif à travers le mode (souce : The economist).

On n’utilise pas le verbe marcher si on peut utiliser le verbe fonctionner

FAUX

Celle-ci, elle est classique. On s’est tous déjà fait reprendre, que ce soit pendant nos études ou dans le milieu professionnel, pour avoir dit que notre ordinateur ou notre circuit électrique marchait. Ce à quoi, on nous a toujours rétorqué la même antienne lassante : « On ne dit pas marcher, mais fonctionner. Ton circuit électrique ou ton ordinateur, il n’a pas des petits pieds pour avancer, que je sache ? »
Oui, mais il y a des mots qui ont plusieurs sens, que je sache ? On nomme cela des polysémies (du grec ancien « πολύς », « polús » (« beaucoup ») et de « σῆμα », « sễma » (« signe »)). Dans la langue française, il y en a des milliers, que je pourrais aisément vous citer ; mais je ne ferai pas car j’ai extrêmement peur que les serveurs de Wix ne prennent feu. Certaines peuvent aller jusqu’à soixante-neuf sens selon le Wiktionnaire (par exemple : tenir et prendre (qui n’en a que soixante-quatre), mais aussi faire, donner, passer, tirer, porter, relever, tête, de, ligne, revenir, trait, remonter, voir, et cætera…)
Et comme vous devez maintenant le savoir, marcher est une polysémie…

Bon. Eh bien, maintenant, je suis à sec… J’aurai, je pense, proféré suffisamment d’insultes ici pour ne plus pouvoir en dire pendant encore de longues années… Ce qui nous fera tous des vacances… Sans rire, j’espère que vous avez tout de même apprécié la lecture de cette article contestataire pour lutter contre les idées reçues rédhibitoires que l’on peut avoir à force de se faire rabaisser ou à vouloir trop bien faire. Évidemment, le but de ce long texte n’était pas de lancer un conflit acharné contre les « pédants » (cette appellation, malheureusement, est bien trop péjorative), mais plutôt contre l’hypercorrection et le puritanisme abusif (là encore, le nom de puritain a une connotation dégradante…) D’ailleurs, je n’accuse pas seulement les autres, mais aussi moi, d’avoir déjà été si peu souple en matière d’orthographe.
Selon moi, la langue doit être accessible à tout le monde. Et c’est pourquoi le fait de se plaindre de l’analphabétisme et de la « baisse du niveau en dictée », tout en freinant les autres dans leurs efforts, en créant cuistres et expressions abstruses, en mettant en place des règles si inflexibles et bizarroïdes, et en ne voulant réserver le français qu’à une certaine élite, est complètement contradictoire.
Quant à ceux qui seraient intéressés par ce genre d’argumentations, revenez souvent sur cette page (la page Vrai-faux, j’entends), vous serez servi. Toutefois, je n’ai prévu aucune fréquence de publication de ce type de formats très longs à réaliser.

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