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Ce qu'on ne vous a jamais dit sur les verbes irréguliers

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Ce qu'on ne vous a jamais dit sur les verbes irréguliers

~ Article posté le 28 juin 2019 ~

Image de couverture.

Le Roi Asa de Juda détruisant les idoles ou Explosion d’une cathédrale, œuvre de François de Nomé, aussi connu sous le nom de Monsù Desiderio (XVIIème siècle), huile sur toile revisitée par La Peinture des mots.

Cinq-cent-soixante-dix. C’est le nombre de verbes, dans la langue de Molière et de Coluche, qui ne respectent pas la législation en matière de conjugaison. Et j’entends par là les désinences bizarres d’acquérir, les étranges avatars de mouvoir, le passé simple de peindre, celui de coudre, l’infecte bouillie de bouillir, le nombre de L dans appeler, les légendes urbaines et rurales autour d’ouïr, l’absence de pluralité de frire et tous ces verbes capricieux qui pourrissent chaque année la vie de millions de Francophones et qui découragent tant de petits élèves candides, naïfs et innocents qui cherchent à apprendre notre langue.

Sans rire (ou presque), je pense qu’il n’y a rien de plus universel (ou presque) que les verbes irréguliers (ou presque). Tou·te·s uni·e·s dans l’adversité (ou presque) ! Dans la haine de ces criminels insoupçonnés, de ces diablotins angéliques, de ces tueurs en série qui éventrent à coups de couteau notre langue et notre cerveau…

Dans cette audacieuse (en toute modestie) sixième épitre articulaire lapeinturedesmotsesque, n’ayons plus peur d’eux, n’ayons plus peur de rien, pendant qu’on y est. Ressaisissons-nous et ressaisissons le couteau pour le retourner dans la plaie. Osons. Osons nous poser les vraies questions, les questions qui fâchent, quitte à briser la glace. Osons enquêter, investiguer, pister chaque indice au peigne fin, en profiter pour démêler cette affaire, décrypter et démasquer enfin les véritables objectifs machiavéliques de ces verbes si justement haïs.

Pourquoi la plupart des verbes les plus communs sont-ils irréguliers ? Pourquoi un tel paradoxe, un tel non-sens, une telle contre-intuition ? Pourquoi rien n’a été fait pour les simplifier ?

Prenez ma main, montez à bord, accrochez-vous, fermez les yeux (au sens figuré, parce que lire les yeux fermés, croyez-moi, c’est vachement compliqué) et préparez-vous à être tutoyé·e. Je vous emmène dans les tableaux les plus sombres de la conjugaison…

Chère lectrice, cher lecteur ; cher·e vous, cher·e toi,

Ne t’es-tu jamais posé cette question, têtu·e comme tu es, toi, questionneur·se avide et affamé·e ? Alors que pourtant tu baignes chaque jour dans une mare étendue, dans un étang imbibé de mots français — et par conséquent étranges car ce qui est clair n’est pas français —, de mots bizarres, aux contours mystérieux et impénétrables, de mots distordus par l’histoire, cabossés par le temps, épineux et hautains… et surtout de verbes irréguliers, toujours les mêmes, mais jamais vraiment de la même manière…

« Verbe dont la conjugaison ne suit pas les règles de base de la grammaire pour une langue donnée », peut-on lire sur la Toile. Mais se cantonner à cette définition, ce serait occulter, taire, voiler, cacher, oublier le véritable calvaire que représentent ces diables de la linguistique, ces Satan qui hantent les livres et les cahiers. Bien souvent, la logique n’y est pas — car ce qui est logique n’est pas français —, un verbe irrégulier peut ne pas l’être de la même façon qu’un de ses dérivés, et parfois on se tue à apprendre leurs irrégularités pour se rendre compte qu’ils n’en possèdent guère.

Lorsque l’on apprend une langue étrangère, c’est aussi un véritable tue-l’amour, un obstacle — que dis-je ? — une obstruction rédhibitoire et décourageante, une barrière de barbelés bibliques et bricolés de toutes pièces ; car généralement, tout cela ne tient qu’à un fil… Une prononciation partie en sucette, une évolution qui a mal tourné, un·e écrivain·e peu doué·e en orthographe… et paf ! c’est parti pour cinq siècles de peur, de honte, d’arrachage de cheveux, de cahiers de vacances et d’apocalypse.

Chaque langue de ce monde possède un certain nombre de verbes irréguliers — exceptés le quechua, certaines langues asiatiques et les langues construites dont le but annoncé est d’être le plus simple possible (l’espéranto pour ne citer que lui). Ce nombre est bien entendu très variable, ce qui va de soi vue la quantité mirobolante d’idiomes et de dialectes parlés à travers le monde et la présence ou non d’éventuel·s organisme·s chargé·s de normaliser leur grammaire et leur orthographe (académiciennes et académiciens, ne vous sentez surtout pas concerné·e·s). Aussi, définir ce qu’est un verbe irrégulier peut s’avérer être aussi compliqué que de boire du whisky en pyjama dans la neige sur un boule de feu en chantant « Libérée, délivrée » en danois (« Lad det ske », si ça peut vous aider).

En effet : que dire du verbe haïr ? Certes il obéit au modèle flexionnel standard du deuxième groupe (finir, grandir, subir, vomir, vioquir…) mais que fait ce tréma sur le I ? Et on pourrait toujours dire qu’il n’est pas le seul dans son cas : il forme avec amuïr un couple de choc et on pourrait très bien prétendre qu’il s’agirait d’un autre modèle flexionnel à part entière… Considère-t-on les verbes défectifs (qui n’existent pas à certains temps ou à certaines personnes) comme des verbes irréguliers ? Et faut-il inclure les dérivés des verbes irréguliers dans le compte ? C’est donc à titre indicatif et de manière très approximative que je vous donne les chiffres suivants : en français, on compte en tout cinq-cent-soixante-dix verbes irréguliers, soit deux fois moins qu’en italien, trois fois moins qu’en espagnol et six fois moins qu’en allemand (voir le tableau pour plus de langues et de précision).

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Figure 1.

 

Tableau comparatif du nombre de verbes irréguliers dans plusieurs langues européennes et asiatiques.

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Ce qui est donc universel avec les verbes irréguliers, c’est que quasiment toutes les langues en contiennent. Bon. Ce n’est pas spécialement surprenant, mais c’est un premier constat à ne pas oublier. Mais ce qui est bien plus surprenant, c’est que ces verbes irréguliers sont les mêmes à travers toutes ces langues : être, avoir, dire, aller, faire… à très peu d’exceptions près (voir le tableau pour plus de détails). Et très vite on se rend compte que ces verbes ont plusieurs points en commun, mais surtout un qui saute aux yeux et grille la rétine : ce sont — généralement — les verbes les plus utilisés, les plus communs, les plus importants, ou encore les plus fréquents. Dans l’ordre : être, avoir, faire, dire, pouvoir, aller, voir, savoir, vouloir, venir… Un ordre que l’on retrouve dans quasiment toutes les langues (voir le tableau).

Donc en français, les treize premiers verbes dans la liste des fréquences — autrement dit les treize verbes les plus communs — appartiennent au troisième groupe de conjugaison, le groupe « poubelle » où l’on a jeté nonchalamment tous ceux qui n’entraient pas dans les deux premiers groupes. Ce sont donc en majorité des verbes irréguliers, en tout cas les douze premiers. D’ailleurs, si on trie ces verbes en fonction des groupes auxquels ils appartiennent, on découvre avec étonnement (mais quand même pas trop parce que depuis le début je te bassine avec ça) que 2 % uniquement de ces verbes appartiennent au deuxième groupe, les 98 % restants étant également partagés entre le premier et le troisième groupes (pour toutes celles et tout ceux ayant obtenu une note inférieure à zéro à l’épreuve de mathématiques au baccalauréat, cela signifie que 49 % des verbes de la liste sont du premier groupe et que 49 % des verbes de la liste sont du troisième groupe).

Au début, ces résultats peuvent sembler un peu terre-à-terre, et j’en ai conscience, mais tout devient plus intéressant — et toute ma réflexion s’éclaire — lorsque l’on les compare au nombre total de verbes que possède la langue française. Voyez plutôt : dans le premier groupe, on dénombre au total dix mille verbes ; quarante-neuf, à cette échelle, ce n’est rien — la preuve est bien que l’échantillon de verbes du premier groupe ayant le privilège de faire partie de la liste des cent les plus communs ne représentent que 0,49 % du susdit groupe. Répétez l’opération avec le deuxième groupe (pas la peine de détailler, la vie est bien trop courte) : environ 0,67 % de ces verbes sont dans les cent premiers, contre 24,5 % pour le troisième et dernier groupe ? Choqué·e ? C’est normal. D’un point de vue purement et strictement statistique, en nous rapportant au nombre total de verbes, plus de 95 % des cent verbes les plus utilisés devraient appartenir au premier groupe, et moins de 2 % au troisième… Ce qui n’est vraiment pas du tout le cas dans la réalité réelle et tangiblement tangible. (Voir graphique pour plus de précisions).

Figure 2.

 

Comparaison des irrégularités de six verbes communs à travers neuf langues européennes et asiatiques.

Figure 3.

 

Liste des cent verbes les plus utilisés dans la langue française dans l’ordre décroissant.

Figure 4.

 

Comparaison des dix verbes les plus communs à travers quatre langues européennes.

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Figure 2
Figure 3
Figure 4

Figure 5.

 

Comparaison de la réalité réelle et tangiblement tangible des choses concernant les verbes les plus courants et de ce que cela devrait être d’un point de vue purement et strictement statistique.

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Si le premier groupe en français a une place si importante et contient un nombre de verbes qui peut facilement paraitre exorbitant par rapport aux autres (dix-mille pour le premier groupe, trois-cents pour le deuxième, deux-cents pour le troisième, ce qui signifie que les deux derniers réunis ne représentent qu’un vingtième du premier), c’est justement grâce à la facilité que l’on a à conjuguer ses membres : les terminaisons sont simples, plutôt logiques, et les irrégularités sont rarissimes (hormis le verbe envoyer qui, par on-ne-sait-quel enchantement, se conjugue comme un dérivé de voir au futur, je ne vois pas vraiment ce que l’on pourrait citer).

Ainsi, le premier groupe est rapidement devenu le groupe ouvert, c’est-à-dire que (presque) tous les néologismes verbaux en font partie : googliser, jober, divulgâcher, misérer, cliver, ubériser… En effet, depuis le début du XXème siècle, seuls deux verbes sont apparus dans le deuxième groupe (amerrir et alunir, formés tous deux à base d’atterrir, inventé en 1686 pour la marine) et aucun dans le troisième. Et après tout, c’est logique : pourquoi s’embêter à inventer des verbes irréguliers, bizarres, les terminaisons éclatées, mortifères plutôt que des verbes simples, faciles à conjuguer et utilisables quasi-instinctivement par chacun·e ?

Soit dit en passant, rien ne sert de s’affoler de la disparition des autres groupes, de l’intelligence des adolescent·e·s ou encore des beautés de notre langue (qui restent encore à découvrir, si je puis me permettre), car ce ne sera pas le cas — ce que je vais tenter tant bien que mal (mais plus bien que mal) de te prouver tout au long de cet article qui décidément n’en finit plus de commencer. En effet, ce phénomène ne s’observe pas qu’en français : en espagnol, en italien, en portugais et dans l’ensemble des langues romanes, c’est un symptôme commun et remarquable. Quant à l’anglais, malgré l’absence de quelque organisme officiel chargé de le normaliser, il possède une incroyable faculté à régulariser les verbes (de plus en plus de personnes utilisent « flied » en lieu et place de « flew » en guise de prétérit du verbe « fly » (« voler ») et le nombre de verbes irréguliers a été divisé par deux entre le vieil anglais et l’anglais moderne alors que le processus inverse est particulièrement rare et abscons (le seul exemple aujourd’hui connu est celui de « sneak », qui devient progressivement « snuck » au prétérit).

C’est donc universel. Nous, êtres humains, sommes fait·e·s et pensons toutes et tous de la même manière : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Ô lectrice, ô lecteur, voici enfin la question centrale de cet article : comment expliquer que nos verbes les plus fréquents sont tous des irréguliers, quelle que soit la langue, alors qu’il serait mille fois plus simple et intuitif qu’ils soient tous réguliers ? Et, plus généralement, pourquoi nos langues sont-elles si complexes ? Hélas ! C’est là qu’est l’os… Car quand on y pense, rien dans toute cette épineuse affaire n’est logique. L’irrégularité de ces verbes n’est donc pas un phénomène conscient et délibéré, mais plutôt quelque chose qui nous échappe des mains ; l’irrégularité de ces verbes émane d’une force incontrôlable, irrésistible et incoercible. Je vous le donne en mille…

Le temps ! Comme je vous le disais un peu plus tôt, « une prononciation partie en sucette, une évolution qui a mal tourné, un·e écrivain·e peu doué·e en orthographe… et paf ! c’est parti pour cinq siècles de peur, de honte, d’arrachage de cheveux, de cahiers de vacances et d’apocalypse ». La voilà, la vraie responsable, la vraie coupable de ce crime prétendument dénué de toute belligérance. Nous la tenons enfin : l’évolution de notre langue, de sa grammaire et des différentes normes orthographiques et syntaxiques qui la régissent (Évolution de son petit nom).

Prenez le verbe être, par exemple, qui compile les irrégularités comme des petits pains. Il s’agit d’un verbe composite, ce qui signifie qu’il n’est pas issu d’un seul autre verbe latin ou grec ou que-sais-je mais de plusieurs racines (latines en l’occurrences) différentes au départ mais qui se sont accrochées et mêlées à cause de leur proximité sémantique. Je m’explique : en latin, on comptait trois verbes distincts par tous les aspects qui, par la suite, ont donné le véritable casse-tête chinois qu’est notre très cher, très humble et très auguste être : « stare » (« être debout »), « sedere » (« être assis·e », « siéger ») et « esse » (« être », dans le sens d’exister).

Le premier a donné l’infinitif (être), les participes passé et présent (été, étant), les flexions de l’imparfait de l’indicatif (étais, était, étions, étiez, étaient) ainsi qu’un verbe aujourd’hui oublié et inusité, bien que toujours parfois utilisé à l’infinitif dans des domaines très spécifiques, ester, à l’origine de rester. Le deuxième a donné le futur de l’indicatif (serai, seras, sera, serons, serez, seront) et le conditionnel (serais, serait, serions, seriez, seraient). Enfin, le troisième a donné le présent de l’indicatif (es, est, sommes, êtes, sont et suis, bien que ce dernier semble être une sorte de mutation génétique de « sum » (du verbe « esse ») et de « habeo » (du verbe « habere », « avoir »)), du présent du subjonctif (sois, soit, soyons, soyez, soient), donc de l’impératif présent, du passé simple de l’indicatif (fus, fut, fûmes, fûtes, furent) et de l’imparfait du subjonctif (fusse, fusses, fût, fussions, fussiez, fussent). Au passage, ces formes en f- existaient déjà dans le verbe « esse » en latin (forcément) et sont issues de la proto-racine proto-indoeuropéenne « *bheu- » que l’on retrouve notamment dans « be » (« être ») en anglais, « bin » et « bist » (« suis » et « es ») en allemand, « φυω » (à prononcer « fuo ») (« croitre ») en grec ancien et « futur » (« futur ») en français.

Mais bien sûr, certaines questions subsistent et continuent de hanter nos têtes et nos cervelles dégénérées, y compris les tiennes, ô lectrice, ô lecteur… Pourquoi avons-nous eu besoin de tous ces verbes pour n’en former au bout du compte qu’un seul ? Pourquoi ne pas avoir calqué toutes nos conjugaisons françaises sur les conjugaisons latines ? C’est là qu’intervient l’évolution, celle que vous attendez toutes et tous. Prenons un exemple pas piqué des hannetons : le cas de l’imparfait (étais, était et compagnie) et du futur (serai, seras et compagnie) de l’indicatif. Voyez plutôt : en latin, l’imparfait se présente sous la forme suivante : « eram » (« serai »), « eras » (« seras »), « erat » (« et compagnie), « eramus », « eratis », « erant » ; tandis que le futur donne : « ero » (« étais »), « eris » (« étais »), « erit » (« était »), « erimus » (« et compagnie »), « eritis » et « erunt ».

Les années passent, l’horloge tourne, on a même le temps d’en racheter quelques unes, la langue évolue car c’est la seule chose qu’elle sait faire et bam ! le français arrive, avec quelques casseroles et les conjugaisons que voici : « (i)ere », « (i)eres », « (i)er(e)(t) », « eriiens », « eriiez » et « (i)erent » pour l’imparfait et « ier », « ers », « (i)ert », « (i)ermes » et « (i)erent » pour le futur. Il n’y a rien de choquant ? Et si, quel œil de lynx ! Les formes sont, à quelques exceptions près, les mêmes. Disons-le sans pincettes : c’est la pagaïe. Eh oui, on confond le passé et le futur, on s’emmêle les pinceaux, on s’arrache les cheveux, on hurle sur la voisine du dessus, sur l’enfant qu’on a envoyé chercher du pain et qui — comme de par hasard — a pas compris si il devait le faire ou si ça avait déjà été fait… Selon un article très enrichissant d’un certain ou d’une certaine Illuminati75, ce seraient même ces confusions qui auraient conduit à la Guerre de Cent Ans.

Bref, c’est la confusion totale, et on se retrouve obligé·e·s de piocher dans les caisses de l’Ét… dans les racines latines à notre disposition et aux formes du verbe ester pour remédier à tout ce joyeux fatras. D’ailleurs, le verbe être existe en deux exemplaires en espagnol (« ser » et « estar »), en portugais (« ser » et « estar ») et en italien (« essere » et « stare »). Le verbe aller (et sa myriade de radicaux (all-, v-, ir-, ail-…) a subi exactement le même type d’évolution : mélange de verbes, mélange de radicaux, évolutions de sens… C’est donc parce qu’ils sont très génériques, très peu spécifiques et très anciens que ces verbes ont pu changer à ce point, alors qu’au départ, ils étaient — à peu près — viables.

Bien. Ceci étant dit, n’oublions pas que lorsqu’une irrégularité pointe le bout de son nez, avec ses problèmes et ses soucis, (l’ennemi du petit-déjeuner, l’ennemi Ricoré ®), la tendance générale — je dis bien générale —, est à l’assouplissement, à la simplification, à la régularisation (on n’a pas attendu la bénédiction des Immortel·le·s pour inventer les formes « je m’assois », « tu t’assois » etc. à la place de « je m’assieds », « tu t’assieds » etc.) ou encore au remplacement, à la substitution (quand tomber, verbe régulier, est entré en concurrence au XVème siècle avec choir, verbe irrégulier, il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il l’emporte haut la main). Comment se fait-il que — en oubliant la politique rédhibitoire et complètement dérisoire de l’Académie française — l’usage n’ait pas verbalisé tous ces verbes qui transgressent allègrement les lois de notre langue ?

Eh bien, répondrais-je, c’est justement parce qu’ils sont communs, fréquents et compagnie qu’ils n’ont pas changé, et qu’ils ne changeront pas. Tout cela est on-ne-peut-plus logique : imagine (oui, je te tutoie) que d’un coup, alors que tu es là, tranquille, pépouze, arrive dans un nuage de fumée et de nicotine une fée (un peu vieille et rabougrie, à l’image des Immortel·le·s, c’est la moindre des choses) qui t’informe qu’il faudra conjuguer le verbe être comme suivant : j’ête, tu êtes, iel·on ête, nous êtons, vous êtez, ils·elles êtent ou remplacer le verbe être par le verbe ster.

Changer l’usage est déjà une chose compliquée, voire périlleuse, voire impossible ; mais elle l’est d’autant plus si ces modifications s’appliquent à des mots de tous les jours. Ce constat, évidemment, est partagé, flagrant, indéniable, apert, exotérique et, surtout, confirmé de manière très scientifique et très précise. Voyez plutôt : en 2007, une étude fut publiée dans la revue scientifique Nature, intitulée « Quantifying the Evolutionary Dynamics of Language » (« Quantifier la dynamique évolutive du langage » dans la langue de Booba). Des chercheuses et des chercheurs ont suivi l’évolution de plusieurs centaines de verbes (anglais, bien entendu), analysé leur régularisation — ou non — à travers les derniers 1 200 ans et ont mis leurs résultats en perspective avec la fréquence desdits verbes. Conclusion ? Un verbe cent fois moins fréquent se régularise dix fois plus vite.

Résumons : les verbes les plus fréquents en français sont en grande partie des verbes du premier groupe (parce qu’ils sont plus nombreux) et des verbes du troisième groupe (parce qu’ils sont plus anciens). Parmi ces verbes du troisième groupe, beaucoup sont irréguliers, c’est-à-dire ici qu’ils ne respectent pas les paradigmes habituels du français en matière de conjugaison ; les douze premiers dans la liste des plus fréquents le sont. Ce constat s’observe dans un grand nombre de langues, en particulier dans les langues européennes, qui contiennent un grand nombre d’irrégularités. Les verbes irréguliers le sont parce qu’ils sont anciens, qu’ils ont eu le temps d’évoluer et c’est leur fréquence qui a contribué à les rendre encore plus irréguliers : plus exposés, plus larges d’un point de vue sémantique, ils sont en général des agrégats de plusieurs racines. Enfin, s’ils n’ont pas été simplifiés, contrairement aux autres, c’est aussi à cause de leur fréquence.

Donc le coupable dans tout ce fouillis ? La fréquence, avec laquelle nous ne sommes décidément pas sur la même longueur d’onde…

À bon entendeur,
Salut.

Figure 5
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Sources et références

Le grand Livre des curiosités de la langue française, par Gildas Tromeur, éditions L’Opportun, paru en mai 2018, pages 107-110 (« 32. L’évolution phonétique des mots, du latin à nos jours ») : https://www.lapeinturedesmots.com/copie-de-metadonnees-des-exercices-


Le Français correct pour les nuls, par Jean-Joseph Julaud, éditions First, paru en aout 2001, pages 245-247 (« Trois groupes spécialisés »)


Petites chroniques du français comme on l’aime !, par Bernard Cerquiglini, éditions Larousse, paru en octobre 2012, page 34 (« « Il était une fois le verbe ester… », Quels sont les emplois du verbe « ester » en français ? »), mais aussi page 126 (« « De l’importance de ne pas s’asseoir n’importe comment ! », Faut-il dire « asseyez-vous » ou « assoyez-vous » ? ») : https://www.lapeinturedesmots.com/copie-de-metadonnees-d-oxymore-et-c


L’article de Wikipédia en français sur les verbes irréguliers : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Verbe_irrégulier


L’article de Wikipédia en allemand sur les verbes irréguliers : https://de.m.wikipedia.org/wiki/Unregelmäßiges_Verb


L’article de Wikipédia en anglais sur les verbes irréguliers anglais : https://en.m.wikipedia.org/wiki/English_irregular_verbs


Pourquoi la plupart des verbes communs en anglais sont irréguliers ? (« Why are some of the most common verbs in English irregular? ») : https://www.quora.com/Why-are-some-of-the-most-common-verbs-in-English-irregular-i-e-to-be-to-have-to-do


Pourquoi tant de verbes importants sont irréguliers ? (« Why are so many important verbs irregular? ») : https://english.stackexchange.com/questions/137348/why-are-so-many-important-verbs-irregular


Liste et analyse des verbes les plus fréquents en français : http://www.sculfort.fr/articles/orthographe/verbesfrequents.html


Liste des verbes les plus fréquents en allemand : https://deutschegrammatik20.de/2013/01/09/die-haeufigsten-deutschen-verben/


Liste des verbes les plus fréquents en anglais : https://fr.babbel.com/fr/magazine/les-20-verbes-les-plus-courants-en-anglais/


Liste des verbes les plus fréquents en espagnol : https://www.practicaespanol.com/wp-content/uploads/Verbos-españoles-más-frecuentes.pdf


Liste des verbes les plus fréquents en portugais : https://portuguesaletra.com/artigos/verbos-mais-usados-em-portugues/


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 1 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre1.html


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 2 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre2.html


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 3 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre3.html


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 4 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre4.html


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 5 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre5.html


L’histoire abracadabrante du verbe être, épisode 6 : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/etre6.html


L’étude sur l’évolution et la simplification des verbes irréguliers en anglais : https://dash.harvard.edu/bitstream/handle/1/4133284/Nowak_QuantifyEvolDynamics.pdf?sequence=2


La concurrence entre choir et tomber : https://fr.m.wiktionary.org/wiki/tomber#Étymologie

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