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Mot 41 : engramme, « un simple reflet de la structure du flux d'informations »

Il était une fois, un zoophile, un homme qui aimait les animaux et les humains. Il s'appelait Richard Wolfgang Semon et naquit à Berlin en 1859, à l'époque où il n'y avait ni mur ni borne à ne pas franchir. Et justement, des bornes, il en franchit beaucoup. À l'époque où Charles Darwin n'était connu qu'en tant que scientifique néophyte et idéaliste, Richard fut un des plus importants soutiens de la théorie de l'évolution de la vie selon la sélection naturelle. Ce fut un fervent croyant de la religion scientifique qu’il adula pendant les cinquante-neuf ans qu’il passa sur la planète bleue. Il laissa derrière lui de magnifiques travaux sur la neurologie impressionnants pour l’époque. Il laissa derrière lui des concepts, des idées, une personnalité, des découvertes et… deux nouveaux mots. Le premier est la notion de mnèmes et de machine à mnèmes, tirés de la déesse grecque, Mneme, déesse de la mémoire. D’ailleurs, on utilise de nos jours aucun de ces mots mnèmes et machine à mnèmes. Aujourd’hui, on les appellerait respectivement souvenirs et mémoire. Le deuxième mot relatif à une idée qui germa dans son fulgurant esprit est ce qu’il nomma « trace mnésique », « artefact mnésique », ou, plus poétiquement, « engramme ».

Un engramme, du grec ancien « en » (dans) et « gramma » (lettre ou écriture) est un mot qui fit d’abord son apparition dans le pays natal du zoophile neuropsychologue, c’est-à-dire en Allemagne. Il désigne la trace que laisse un événement dans le système nerveux et, plus généralement, dans la vie de tous les jours. Un traumatisme, un coup de mélancolie, un goût aigre ou une fragrance estivale. L’engramme est l’empreinte de ce que l’on vit, la partition d’un orgue de Barbarie où tout est gravé et prêt à se transformer en musique et en larmes. Car la présence d’engrammes, qui fondent la structure-même du cerveau, et bien qu’ils s’agissent d’événements passés, peuvent à tous moments rejaillir, créer une reviviscence inattendue. Et il faut laisser les mauvais engrammes s’évader du cœur avant qu’ils ne grandissent et dévorent tout le plaisir. Un engramme peut être positif, mais très rarement. Car tel est le mécanisme parfaitement huilé de la mémoire humaine : la tristesse et la mélancolie se gravent dans l’airain, à l’inverse des souvenirs versatiles ou volubiles qui ne sont qu’éphémères ; voici, en quelques mots, le travail de Richard Wolfgang Semon, mais il n’est pas du tout aisé à illustrer. Alfred Fessard, écrivain, tenta tant bien que mal d’occuper la tâche que je me suis chargé de faire en écrivant sur la mémoire : « L'engramme, si ce mot correspond bien à une réalité concrète, ne pourrait être un simple reflet de la structure du flux d'informations. » Oui, c’est exactement cela, un reflet, c’est la vie vue dans un miroir.

En fin de compte, il est bien dommage que ce terme ne soit pas plus populaire, pas plus populaire que les souvenirs, remembrances, mémoires, et autres. Il est d’ailleurs étonnant qu’il ne fasse pas partie des noms de bougies, d’encens ou de parfums, à l’instar de pomander, fleur de peau, mimosa, philosykos, olène, hespéride, néroli, tempo, ôponé, volutes etc. Il est aussi bien dommage que tous ces travaux n’aient, pendant très longtemps, jamais été attribués à leur véritable initiateur, Richard Wolfgang Semon… Mais ça, c’est l’effet Matthieu, et c’est une toute autre histoire…

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