Mot 27 : galetas disgraciée
- La Peinture des Mots
- 26 nov. 2018
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Il était une fois, un poète, auteur, dramaturge, prosateur, dessinateur et caricaturiste français. Il pointa un matin quelconque le bout de son nez, sous le calendrier républicain, le septième jour du mois hiémal de ventôse, dans une demeure bourgeoise tenue par deux Nantais. Très tôt, on sent qu'il a un don particulier, mais sa précocité intellectuelle le rend fragile et trop émotionnel. Alors, il se mit à écrire. À douze ans, il faillit remporter un concours de poésie de l'Académie française, mais il n'obtient finalement pas le prix à cause de son trop jeune âge (sa candidature est considérée comme un canular).
Depuis cet événement, deux siècles se sont écoulés. Pourtant, son nom est toujours aussi connu dans le monde entier, resté gravé dans la mémoire collective grâce à ses écrits impressionnants comme Les Misérables. Il suffit de parcourir ce court extrait pour se rendre compte du don atypique qu'il possédait : "Une toute jeune fille était debout dans la porte entrebâillée. La lucarne du galetas où le jour paraissait était précisément en face de la porte et éclairait cette figure d’une lumière blafarde."
Vous l'avez lu dans le titre, le mot du jour se trouve dans cette citation. Galetas. Lu comme cela, on pourrait croire que le mot est espagnol. Or, ce n'est pas le cas. On le prononcera à la française, à savoir "galta". Et l'intérêt de ce terme, c'est sa chute, sa dégringolade monumentale au cours de l'histoire. Comme l'exprime le lexicographe Émile Littré dans son court livre Pathologie verbale, ou lésion de certains mots dans le cours de l'usage, avec justesse et emphase, "Quelle déchéance !"
Effectivement, la disgrace, la descente du galetas est tout à fait remarquable. Accrochons-nous au fil d'Ariane et remontons le temps d'une demi-douzaine de siècles environ. Accrochons-nous et partons vers le soleil, vers la Turquie, vers la ville d'Istanbul et ouvrons grand les portes de la tour de Galata, la tour sainte, celle qui donna son nom au mot du jour. Au départ, le galetas est un appartement extrêmement prestigieux situé dans la partie comptable de cette tour, puis, au fur et à mesure, avec le temps, le sens évolue et se métamorphose avec une définition qui s'approche de plus en plus de la partie publique et peu riche d'un château. Et la chute n'est pas finie (on trouve toujours un moyen de creuser, même avec la langue). Au quinzième siècle, le mot continue de perdre de sa brillance et de son aura lumineux, tandis que le seizième siècle marque le contact avec le fond du trou. Le mot prend le sens que l'on lui connaît maintenant, celui d'un grenier sale, poussiéreux, d'une chambre de bonne, de mansarde à peine isolée et misérable. La chute est immense et incompréhensible : l'évolution de ce mot est totalement insensée et inconnue, mais on peut toujours réfléchir et se dire que le niveau de vie des bonnes a aussi régressé...
Si je vous ai parlé de Victor Hugo au début (oui, c'était bien lui), c'est car il partage avec tous les autres écrivains qui ont commencé au hasard, un jour, sans se demander pourquoi, un grand point commun qui devrait tous nous réunir : le galetas. Comme quoi, peut-être que la baisse du sens est bénéfique ? Et comme le dit si bien le proverbe populaire : "Quand on a touché le fond, il faut remonter".
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