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Mot 30 : marivaudage émerillonné

Il était une fois, une épistolière. Il était une fois, une femme de lettres qui écrivait des lettres. Des lettres personnelles, qu’elle écrivait trois fois par semaine pour sa fille, Françoise. Des lettres privées qui furent publiées, qui furent mises au grand jour, clandestinement une première fois, (à cause du fait que son autrice était une femme), puis face à la critique dès 1734. C’est la petite-fille de cette autrice qui composa l’édition. Pour cela, elle sélectionna les lettres les plus présentables, celles dont l’intérêt stylistique était le plus élevé, celles qui ne concernaient pas de trop près les histoires de la famille. Mais le résultat ne fut en fin de compte pas si décevant que l’on pourrait le croire. En fin de compte, plus de mille trois cents missives furent rassemblées en deux recueils et découverts. En lisant quelques extraits de ces conversations écrites, on se demande parfois si elles étaient réellement privées : les mots employés sont toujours d’un langage capillotracté et soutenu. Si je vous parle de Madame de Sévigné (car c’est bien elle), c’est pour évoquer une de ses inventions les plus réussites. Une métaphore devenue un mot, réutilisé ensuite par les plus grands auteurs : Scarron, Marivaux (le mot est donc un bel exemple de marivaudage), Jules Verne, un mot qui mérite son quart d’heure de gloire : l’adjectif émerillonné. Ce mot prend source dans une comparaison fort jolie avec un petit oiseau, le faucon émerillon. L’espèce qui porte son nom est un rapace diurne et vif dont les plumes sont irisées de gris-roux pour la femelle et de gris marin pour le mâle. Une des particularités de cet oiseau est sûrement la profondeur de son œil luisant, triste et brun duquel coule une « larme » de jais. Et d’une certaine manière, l’adjectif émerillonné reprend les attributs de ce regard, bien que le sens en soit éloigné par d’autres aspects : un œil, un visage émerillonné est un œil (ou un visage) vif, gai, éveillé, jovial, énergique, entraînant, pulpeux, scintillant, un minois qui donne la pêche. Un œil émerillonné, un doux groupe nominal, comme ce qu’il décrit, qui se marie à merveille avec des lèvres rosées, une barbe rasée de près, et la face épanouie d’un superbe homme (sic Jules Verne, dans son livre Claudius Bombarnac). Et si vous en voulez plus, sachez que l’adjectif émerillonné a donné naissance à un verbe tout aussi pratique, émerillonné, utilisé notamment par Octave Mirbeau qui évoque lui aussi un œil qui s’émerillonne, qui devient galant et égrillard. (cf : Le Journal d’une femme de chambre).

La conclusion, la morale de l’histoire ? L’invention de mots, la maîtrise de la langue, la verve et la littérature n’est pas réservée qu’aux hommes. Vous le saviez déjà, mais maintenant, vous savez que dire à ceux qui voudraient vous rabattre, qui voudraient nous empêcher de faire ce dont nous avons envie, qui que nous soyons. Vous savez ce que vous devez répliquer devant un Éric Zemmour en pleine crise de prétention. Dites-lui que l’émerillonnerie est le meilleur moyen d’observer le monde, de le voir à travers un kaléidoscope multicolore et de voir la diversité de notre environnement, et à quel point l’égalité est belle.

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