Mot 37 : paréidolie, "dans les nuages, dans les constellations"
- La Peinture des Mots
- 10 déc. 2018
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 déc. 2018
Il était fois, Giuseppe Arcimboldo. Si vous ne connaissez pas son nom, vous connaissez très certainement ces oeuvres. Il naquit en plein dans la Renaissance italienne, à l'époque où des talents incroyables dans tous les domaines voyaient le jour, à l'époque où le monde allait prendre une tournure radicalement changeante. C'est dans cet univers-là qu'il baigna toute son enfance, dans une famille de nobles peintres. À trente-cinq ans, il fait déjà partie de la cour on-ne-peu-plus prestigieuse du roi Ferdinand Ier de Habsbourg, en tant que peintre officiel. En un an seulement, il réalise une série de quatre portraits allégoriques qui glorifient et adulent la famille royale : les quatre saisons. Les toiles représentent chacune une des périodes de l'année, une des parties du cycle immuable des saisons. Dit de cette façon, représenter le temps peut paraître simple, mais en réalité, c'est un véritable casse-tête. Alors, pour les réaliser, Giuseppe Arcimboldo pris le parti de l'agriculture, c'est à dire qu'il représenta chaque saison par un personne fabriqué et rafistolé de toutes pièces avec des légumes, des fruits et des matières typiques de cette saison. Ainsi, l'hiver est un homme âgé dessiné par du bois nu et enneigé, tandis que la figure vernale est plus lumineuse, jeune, féminine et joviale, faite de fleurs multicolores. Mais il faut tout de même constater quelque chose : ces tableaux ne représentent pas de visage. Ce sont des fruits, des pousses, des plantes, mais aucun minois à l'horizon. Et pourtant...
Comme le décrit brillamment l'écrivain et criminologue Donato Carrisi, la paréidolie est "la tendance instinctive à trouver des formes familières dans des images désordonnées. Dans les nuages, dans les constellations, ou même dans les flocons d'avoine qui flottent dans une tasse de lait." Un robinet malheureux, un réveil tristounet, une prise souriante, un cratère étonné, une montagne brute, chaque objet de notre quotidien peut être l'objet d'une paréidolie. Et ce n'est pas parce que Donato Carrisi est dramaturge qu'il faut s'inquiéter : il s'agit d'un phénomène, d'une illusion tout à fait naturelle et c'est d'ailleurs un objet passionnant. Notre cerveau d'humain tente sans cesse de structurer le monde qui nous entoure et cela peut passer par la déformation de ce que l'on voit et la permanente recherche de cohérence. Autrement dit, l'inconnu nous fait peur et fait paniquer notre vision. Encore plus intéressant : tous les visages que vous pouvez percevoir dans une paréidolie sont des frimousses que votre œil averti a déjà croisées, ne serait-ce que pendant une seconde, un matin lambda, dans la ligne une du métro parisien. Du côté de l'étymologie, le mot paréidolie en lui-même vient du grec "para" ("à côté de...") et "eidôlon" ("apparence"). La paréidolie est donc à côté de la plaque, à côté de l'apparence.
Du point de vue psychologique, cette illusion est aussi une façon intéressante de distinguer les esprits sains des personnes qui présentent un trouble. Il s'agit du fameux test de Rorschach, que vous avez sûrement déjà fait ou vu. Ce sont des taches d'encre noire et rouge disposées symétriquement sur une feuille. Et ces planches sont faites spécialement pour induire en erreur le patient en lui montrant des formes anthropomorphes pour lui faire voir des visages. Aux États-Unis, en l'an de grâce 2004, vingt-huit mille dollars furent dépensés aux enchères pour l'achat d'une tartine de pain de mie industriel, mais dont les taches carbonisées formaient un visage à peu près semblable à celui de la Vierge Marie (Et on est bien amusé de s'imaginer le toast infesté de vers de terre, sous une vitre de cristal, devant un fauteuil dans lequel serait vautré un homme soupirant).
Même si cette dernière anecdote est parfaitement ridicule, je vous conseille vivement d'approfondir le sujet. Voguer au gré d'Internet parmi les milliers de paréidolies est une activité restauratrice et propice à l'extrême détente et à l'ouverture des chakras. Et comme disait très justement Philippe Michel, "Écoute ton cerveau, il est plus intelligent que toi". Admirez le monde sous un autre angle, dans le prisme de de la paréidolie, et ne chassez jamais, au grand jamais, ces magnifiques illusions de votre subconscient...
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