Mot 38 : adelphité, "de l'espoir, de l'espérance ou de l'utopie"
- La Peinture des Mots
- 11 déc. 2018
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Il était une fois, une militante féministe qui progressait dans l’ombre. Elle s’appelait Danielle Bousquet. Lorsqu’elle était enfant, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle voulait faire, ou plutôt, elle changeait tout le temps de point de vue. Alors, pour l’aider, ses deux parents, enseignants, lui apprirent le goût de l’étude et de l’action. Son premier poste est au rang de directrice d’une petite entreprise à Paris, puis elle se tourne finalement vers l’enseignement de la science économique en Bretagne. En 1997, après la fraîche dissolution de l’Assemblée Nationale française, elle est élue au rôle très prenant de député dans les Côtes d’Armor. Parmi ses principaux leviers d’action, on retrouve par exemple le développement de l’économie et la lutte contre la pauvreté, mais sa principale obsession et son plus grand leitmotiv reste et restera toujours sa lutte pour le droit des femmes, comme par exemple avec un projet qu’elle propose en 2011 pour l’interdiction de la prostitution, une loi qui n’aboutit malheureusement jamais. En ayant assez de proposer et de ne jamais être dans l’action pure, elle ne présente pas à sa propre succession en 2012, et fonde le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes et depuis, elle n’a pas quitté ce siège. Chaque année, cette instance indépendante fournit au gouvernement et aux médias un compte-rendu sur la condition des femmes en France et lutte sans cesse pour la disparition du sexisme, un projet très ambitieux et qui semble un brin utopiste. Et selon Danielle Bousquet, le meilleur moyen est d’abord de « rectifier » les lois et les valeurs républicaines en y ajoutant les femmes. Par exemple, un rapport fut proposé en avril dernier qui demandait la suppression du mot « race » dans le premier article de la Constitution et de le remplacer par « sexe ». Ainsi, l’égalité des citoyens se ferait sans distinction d’origine, de sexe ou de religion. Une autre idée fut formulée par l’organisme dont nous parlons : réécrire la devise nationale en : « liberté, égalité, adelphité ».
Le mot adelphité affole les correcteurs pourtant très performants de nos ordinateurs, smartphones et autres tablettes, et étonne les dictionnaires les plus complets. Et la raison pour laquelle ce terme entraîne de magnifiques bogues, c’est à cause de sa jeunesse. En effet, la première fois qu’on entendit parler d’« adelphité », c’était il n’y a pas plus de neuf ans. Ce néologisme fut formé à partir du mot grec « ἀδελφός » ("adelphos"), qui désigne un frère, une sœur, en tout cas un lien familial entièrement mixte. Rappelons simplement que la fraternité qui orne actuellement nos bâtiments publics vient du latin « frater » (« frère »), il s’agit donc d’un mot qui contient indirectement les femmes, exactement comme l’appellation « Homme » plutôt qu’« humain ». Alors, l’adelphité, vous l’avez deviné, c’est le lien qui unit tous les habitants de « cette petite planète bleue, jusqu'à présent seule connue pour abriter une vie intelligente, relève de l'espoir, de l'espérance ou de l'utopie », comme le dit très bien Philippe Liénard.
À vous à présent de décider quelle est l’appellation qui vous convient le mieux, à vous de choisir votre camp entre ceux qui considèrent cette idée de retouche comme un saccage effronté de nos valeurs républicaines, et ceux qui félicitent cette tentative d’apporter une plus grande égalité dans les symboles de la France, un pays qui pourrait peut-être devenir un pionnier d’harmonie et de paix entre tous les citoyens, « sans distinction d’origine, de sexe ou de religion ». Quoi qu’il en soit, il est très important de respecter l’autre qui ne pense pas comme vous. Après tout, la fraternité peut englober tout le monde, et l’adelphité est un bien joli mot qui pourrait apporter une meilleure symbiose. Mais au moins, laissons-le accéder au dictionnaire, car « la langue n’est pas un système formel, la langue est un glorieux chaos ».
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