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Mot 39 : hypogée, "une clarté diffuse plutôt qu’un point lumineux"

Il était une fois, un prêtre jésuite né à Malte. Il était prêtre, mais il était aussi archéologue, et c'est de cela dont nous allons parler aujourd'hui, d'archéologie. Son nom était Manwel Magri. Si sa célébrité ne fait pas l’unanimité dans la mémoire collective, elle le fait dans le monde aventureux d’Indiana Jones, dans l’univers terrifiant des découvreurs de tombeaux égyptiens. Dès qu’il eut l’âge de commencer à travailler, il aiguilla son chemin sur les rails de l’enseignement, des mathématiques notamment, puis il se dirigea très rapidement vers la théologie et fut nommé prêtre en Espagne en 1881. Mais, comme je vous l’ai dit, outre ses qualités d’instituteur et d’homme d’église, il est pionnier dans deux disciplines peu communes : le folklore national et… l’archéologie, bien qu’il n’ait reçu pour cet art aucun enseignement particulier ni diplôme. Vingt ans après sa nomination au titre de prêtre, il est jugé assez compétent pour diriger les fouilles de l’hypogée de Ħal Saflieni dans son pays natal, après sa découverte accidentelle par des ouvriers.

Je m’arrête ici pour prendre le temps de se poser et de passer au crible un terme sibyllin qui aura peut-être eu le don de vous intriguer dans le précédent paragraphe. Il s’agit du substantif masculin hypogée. Issu indirectement du grec « ὑπόγειον » (prononcez « upoghéyone »), formé des mots « ὑπό » (« sous ») et « γε » (« terre »), le sens de ce terme est typiquement archéologique, puisqu’un hypogée désigne une construction souterraine où les peuplades anciennes comme les Égyptiens ou les Aztèques déposaient leurs morts les plus précieux, comme les pharaons et autres chefs sacrés. C’est aussi sur la cime de ce genre de monuments que se déroulaient les sacrifices humains à l’intention des dieux.

Dans la littérature, ce mot est anormalement rare et c'est bien dommage : on lui préférerait visiblement les termes « tombeau souterrain » ou « monument antique contenant la même chose qu'une pyramide égyptienne », même s'ils sont tous deux beaucoup plus lourds et ô ! combien moins raffinés. Jules Verne est un des seuls écrivains à avoir fait usage de ce sympathique mot dans Le Château des Carpates, au milieu de cette phrase lumineuse : « Une clarté diffuse plutôt qu’un point lumineux, paraissait emplir une sorte d’hypogée à l’extrémité du couloir ». Mais sinon, aucun moyen de trouver un bon auteur amateur d'hypogées.

Et maintenant, voici la palpitante histoire de notre prêtre-archéologue maltais. L’hypogée de Ħal Saflieni fut découvert par mégarde grâce à des ouvriers qui avaient pour mission d’ériger un bâtiment dans cette région du sud de Malte. Galvanisés mais démunis face à la grotte impressionnante qu’ils avaient accidentellement percée, ils rebouchèrent le trou et firent en sorte que personne ne le sache. Or, le site se révélant particulièrement imposant, la construction d’un immeuble était impossible. C’est alors qu’ils prirent la sage décision d’alerter les alentours et d’appeler un expert en la matière, Manwel Magri.

Entre 1902, l’année de sa découverte et 1908, l’hypogée fut inaccessible au public pour laisser place au travail merveilleux des soigneux archéologues. Puis, le site fut finalement ouvert et n’importe qui pouvait dorénavant y entrer (en payant, bien sûr). Mais c’était sans compter sur l’examen complet de la cave réalisé par trois spécialistes. Leurs études furent menées en 1990, et leur verdict était terrible : ce trésor humain était destiné à disparaître immédiatement si on continuait à y entrer et sortir comme dans un moulin. Alors on agit et le site fut de nouveau verrouillé jusqu’au début du XXIème siècle, faramineuse année où l’hypogée fut réaménagé, placé sous une atmosphère permanemment contrôlée, et, au passage, ajouté à la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le site comporte une cinquantaine de pièces réparties sur quatre niveaux formant un immense territoire de 2 500 m². On y retrouve l’évolution-même de l’Antiquité. En effet, chaque étage fut aménagé à une période différente et chacun est rempli de sépulcres, de sculptures antiques époustouflantes, et de fresques toutes plus impressionnantes les unes que les autres, chacun renfermant un inextricable secret qu’il faudrait entretenir éternellement afin de ne pas laisser à nos héritiers des salles vides et dépouillées, et tenter de toujours conserver un monde rempli de mystères…

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