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Mot 65 : multivers, « un spectre d'autres univers »

Il était une fois, un atome. Un atome seul, unique, perdu au milieu d'une quantité inondante de vide. Un atome sur lequel reposait la naissance des systèmes les plus complets et complexes possibles. Cet atome renfermait en lui les codes introuvables et innombrables qui offriraient la clef de l'Univers, du monde, et de la vie. Tout était comprimé en son cœur, en son sein, en son noyau brûlant et impressionnant. Puis il y eut le « grand boum ». L'étincelle mit le feu aux poudres, et toute cette machinerie parfaitement huilée s'activa ; les engrenages s'assemblèrent, les pièces du puzzle s'imbriquèrent mutuellement et naquit alors l'Espace.

Au début, il était dix millions de milliards de fois plus petit qu'un atome d'hydrogène, une infime particule à une température excessive de plusieurs dizaines de milliards de degrés. Il n'avait pas de nom, pas d'âge, n'abritait aucune forme de vie, ni aucune matière ; mais de l'énergie. Puis, se lança le temps ; la petite aiguille bascula, et abolit le chaos. L’atome grandit, grossit, se fournit, se garnit, prit quelques centimètres, avant d'atteindre progressivement le kilomètre, puis le mégamètre, et le téramètre, jusqu’à prendre une taille démesurément extraordinaire… Et c'est alors que, dans le noir abyssal et profond, dans l'immensité inexistante du rien, qu'apparut l'énergie rougeoyante et dynamique. Les pierres s'assemblèrent, se percutèrent, se sélectionnèrent, entrèrent en mouvement, et ce dans une rythmique diabolique et surprenante.

Le système solaire était prêt. Une étoile, pas spécialement grande, pas spécialement petite, des planètes, incandescentes et brûlantes, invivables, des astéroïdes et des satellites caillouteux… Tout s'était calmé. Le vent abattu. Les flammes éteintes. Restaient encore quelques objets volants non identifiés qui erraient dans l'espace à la vitesse de la lumière, flânant à la recherche d'une place où vivre… C'est alors que la Terre, planète au cœur et à la peau de pierre, planète abrupte et grisâtre, fut percutée ; et c'est ainsi que put apparaître la vie.

Elle était au début très rudimentaire : quelques bactéries unicellulaires bienheureuses de pouvoir exister. Puis les cellules se multiplièrent, se grossirent, se dédoublèrent, se réorganisèrent, se déplacèrent et créèrent les premiers êtres vivants : des plantes et des poissons. Tout était calme sur ce morceau de terre, cette danse semblait incassable, répétitive, bénéfique, la nature explorait la Terre avec curiosité, et prenait, pays après pays, son contrôle. Mais survinrent les « extinctions de masse » qui brisèrent instantanément toute forme et tout espoir de vie. C'est ainsi.

Ces périodes d'hécatombe se succédèrent, mais la Terre fit face et réalisa de nouveau, à chaque fois, le travail qu'on avait anéanti, persévérant, ajoutant toujours des cordes à l'arc de ses créatures. Les animaux devinrent plus nombreux et plus compétents, s'approchèrent de la perfection totale. Les végétaux se multiplièrent, se firent de plus en plus durables. La planète était désormais accueillante et prête à laisser éclore l’œuf qu’elle portait en son nid, un œuf candide et innocent, destiné à parfaire plus encore l’équilibre du monde, mais qui allait en réalité renverser la table, et la faire rase ; qui allait planter le décor pour un événement redoutable qui allait troubler la sensible pendule de la nature. Un être animal, pas spécialement grand, pas spécialement petit, mais un être qui voulait conquérir la Terre, la soumettre et en faire sa chose…

Le terme multivers, qui, dans cette graphie, peut être à la fois singulier ou pluriel, mais qui s'utilise généralement dans le deuxième cas, provient de l'anglais « multiverse », un néologisme du vingt-et-unième siècle venant du latin « multi- », préfixe qui s'est conservé en français, lui-même forme génitive de « multus », composé de l'indo-européen « melus » (« grand », que l'on retrouve en français dans meilleur, par exemple) et du suffixe « -tus ». Le deuxième élément qui forme ce mot, -vers, est issu du latin « versus » (« changer ou tourner », que l'on retrouve dans recto-verso, verser, et une myriade d’autres joyeux lurons), lui-même de l'indo-européen « wert ». Cette étymologie et cette formation sont d'ailleurs assez providentielles pour capter le sens du mot, car on peut le considérer comme antonyme d'univers, dont le préfixe est le latin « uni- », contraire de « multi- ».

Brian Geene, dans son livre La Réalité cachée, dépeint avec un brillant brio le sens de ce mot, et l'accompagne d'une réflexion personnelle assez puissante : « Privé de son hégémonie, « univers » s'accompagne désormais d'autres termes censés décrire la toile à grande échelle sur laquelle pourrait être peinte la totalité de la réalité. « Mondes parallèles » ou « univers parallèles » ; « méta- », « méga- » ou « multi-univers »… autant de synonymes parmi les mots utilisés pour décrire non seulement notre univers mais tout un spectre d'autres univers susceptibles d'exister. Vous noterez que les termes sont quelque peu vagues. Qu'est-ce exactement qu'un monde ou un univers ? (…) Un jour peut-être notre compréhension des univers multiples sera suffisante pour nous permettre de répondre (…). »

La théorie des multivers est une hypothèse scientifique attestant qu’il n’y aurait pas qu’un univers, qu’un tout, mais des milliers de réalités parallèles dans lesquels vivraient des sosies de nous-mêmes. Elle fut notamment lancée par de nombreux érudits de la Grèce Antique comme Anaximandre, qui pense « une multitude de mondes successifs définis par leurs rapports à la qualité, à l’espace et au temps », et donne à ce concept le doux nom d’apeiron (du grec ancien « ἄπειρον » (« ápeiron »), qui signifie « illimité, indéfini, indéterminé »). Plus tard dans le temps, Démocrite et son « infini », Nicolas de Cues et ses « mondes distincts », Leibniz et ses « mondes possibles » plus philosophiques qu’autre chose… Mais également des physiciens comme Albert Einstein, Niels Bohr, Erwin Schrödinger, Hugh Everett, Andreï Linde, qui proposa très récemment la théorie des « univers bulles », et cætera. Bref, elle séduit, elle attire, et nous amène à prendre de recul, à remettre en cause tout ce que l’on savait jusqu’ici…

Infinité impensée de mondes abondants, d’univers à l’envers ; étoiles, galaxies et espaces, toiles alexiques et impasses. Le monde est abîme, et le monde s’abîmera, gîte insensé qui irrite nos pensées, les double et les trouble. Geyser de questions et terre d’interrogations, interminables palabres à la réponse poncif et pensive. Qui sommes-nous, aux échelles de la grandeur et de la candeur ? Qui sommes-nous, autoproclamés émondeurs, à émoudre le cimeterre pour mener le monde au cimetière ? Infinité impensée de mondes abondants, d’univers à l’envers… Tout le monde tourne en rond, tous les mondes ne tournent pas rond. Définitivement, nous ne sommes pas seuls…


À bon entendeur, salut.

 

P. S. : On avait bien dit trois mots par semaine ? Alors rendez-vous mercredi prochain pour le soixante-sixième numéro !

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