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Mot 45 : sérendipité, « cette sagacité accidentelle »

Il était une fois, un physicien prometteur, un professeur d’anatomie mythique, un médecin en dilettante. Il s’appelait Luigi Galvani et était né à Bologne en 1737. Il menait une vie normale, assez commune, peu exceptionnelle, une vie dont le rythme est donné par une immuable routine quotidienne. Il inventait des machines alambiquées, meublait son laboratoire de ses folles inventions et opérait. Mais un jour de l’année 1781, Luigi Galvani fut interpellé par une observation quelconque qu’il avait noté dans son carnet. Une observation qu’il avait faite sans penser à la portée décisive qu’elle aurait sur le futur de la planète. Une observation qu’il avait presque oubliée. Le schéma est très évocateur : le scalpel au bout de la main de son assistant, une grenouille inanimée, une machine bizarroïde de laquelle jaillit une étincelle. Et la cuisse de la grenouille qui se contracte violemment, projetant le scalpel au bout de la pièce. À partir du moment où cette note ressurgit dans l’esprit du physicien, il ne pensa plus qu’à une chose : renouveler son expérience et en extraire quelque chose d’hors du commun. Alors, il prit quelques grenouilles et son courage à deux mains puis sortit sur la terrasse, nonobstant sans ciller le ciel lugubre, l’orage grondant, les nuages versant des torrents de pluie. Il disposa les grenouilles, ce qui mit visiblement le ciel dans tous ses états, puisqu’un éclair enragé commence à strier les cieux obscurs. Et, à chaque décharge électrique, les grenouilles sursautaient et se contractaient brusquement. L’expérience est terminée, Luigi est satisfait. Cependant, un deuxième phénomène frappa à sa porte et son esprit : même par temps calme, les grenouilles semblaient subir de l’électricité. Il suffit qu’elles fussent jointes par des liens métalliques, et la danse endiablée des batraciens recommençait. Alors, Galvani saisit ses sujets d’observations et reprit son dur labeur. Après des années de travail acharné, il parvint enfin à une conclusion quasi-bouleversante : les animaux sont bourrés d’électricité, et cela grâce à l’atmosphère terrestre. Autant le dire crument, sa découverte le galvanisa. S’ensuivit le scepticisme des plus grands scientifiques, dont Volta, qui reproduisit nonchalamment l’expérience, les épaules et les sourcils haussés. Il obtint le même résultat et s’enflamma : selon lui, la découverte de son collègue est « une des plus belles et des plus surprenantes, et le germe de plusieurs autres ». Il décida d’aller plus loin, et c’est comme cela qu’il put inventer la pile qui porte son nom. Et c’est avec cette invention que l’on remplit nos télécommandes et nos appareils électroniques. Quand on y pense, on se rend compte d’un constat amusant : le centre de notre mode de vie est au départ dû au hasard, à la fortuité.

Le mot sérendipité a une étymologie assez mignonne (si c’est vraiment le bon adjectif à employer…) : calqué sur l’anglais « serendipity », il est au départ issu de Serendip, l’ancien nom du Sri Lanka (Asie) actuel. Pourquoi le Sri Lanka plutôt que le Zimbabwe ou Trinidad ? me demanderez-vous. Cela fait référence à un conte traditionnel de cette région. Son nom : Les trois Princes de Serendip. Les héros de cette histoire ont la malchance (ou le bonheur) de toujours trouver par accident ce qu’ils ne cherchaient pas au départ, de toujours tomber sur des aventures abracadabrantesques. D’ailleurs, ce conte est maintenant à l’origine de toute la publicité faite pour attirer les touristes au Sri Lanka, la terre bénie où les dieux offrent la fortune à tout un chacun. Mais trêve de promotion, revenons à notre mot. La sérendipité est, selon son créateur, Horace Walpole, « l'un des exemples les plus remarquables de cette sagacité accidentelle. » C’est la capacité qu’ont certains chanceux à découvrir quelque chose d’incroyable de façon involontaire ou inattendue.

De nombreuses découvertes furent faites par sérendipité, ainsi que des inventions. Par exemple, le velcro fut découvert par Georges de Mestral qui faisait une promenade digestive avec son chien quand ce dernier s’emmêla dans des buissons de fruits de bardane. Petite anecdote d’étymologiophile pendant que nous y sommes : velcro est un mot-valise formé à partir de « velours » et « crochet ». Mais le plus grand sérendipiteur (il est indétrônable) est Christophe Colomb qui trouva l’Amérique en cherchant l’Inde. Citons aussi l’indigo, la radioactivité, les rayons X, l’infrarouge, l’insuline, l’hélice, le four à microondes, la photographie, le skateboard, les papillons adhésifs (aussi nommés post-it), le fromage bleu, le nutella, le carambar et… le viagra… Selon une légende urbaine assez persistante, la tarte Tatin aurait également été créée accidentellement par Caroline et Stéphanie Tatin qui auraient maladroitement fait tomber leur gâteau sur le sol recouvert de bactéries immondes. Première révélation : cette histoire est fausse et vachement capillotractée ; et deuxièmement : la tarte Tatin n’a même pas été inventée par ces deux luronnes.

La sérendipité a un antonyme parfait. Il s’agit de la zemblanité, un terme inventé par William Boyd, auteur, à partir du nom de la Nouvelle-Zemble (Nord de la Russie). « Quel est donc l'opposé de Serendip, une terre du sud, une terre d'épices et de chaleur, de verdure luxuriante et de colibris, baignée par la mer, arrosée de soleil ? Pensez à un autre monde, loin au nord, stérile, pris dans les glaces, un monde de silex et de pierre. Appelez-le Zembla. Ergo : zemblanité, le contraire de sérendipité, le don de faire à dessein des découvertes malheureuses, malchanceuses. Sérendipité et zemblanité : les deux pôles de l'axe autour duquel nous tournons. » À savourer…

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