Mot 40 : vénusté, « une portion de cette beauté ineffable »
- La Peinture des Mots
- 13 déc. 2018
- 3 min de lecture
Il était une fois, une femme dont la date de naissance était inconnue, et dont la date de mort était incertaine. Une femme dont la couleur des yeux était toujours différente selon les représentations, une femme qui avait des particularités qui tombèrent dans l’oubli, tellement profondément qu’on alla jusqu’à la confondre avec deux alter ego. Cette femme que personne n’a jamais réellement rencontrée, cette gracieuse chimère, elle s’appelait Vénus. Et celles avec qui on la confondait, c’étaient Aphrodite, une déesse grecque, et Turan, une déesse étrusque. Si toutes les trois présentent des points communs, comme leur rôle, à savoir celui de déesse de la séduction, de la beauté, de l’amour, et modèle féminin par excellence, Vénus se distingue de Turan et Aphrodite par une spécificité non négligeable mais négligée : elle est également représentante des jardins. Son nom est issu du latin « vincire » (« lier ou enchaîner »), une étymologie un peu absurde et éloignée mais qui prend tout son sens grâce au linguiste Varron, qui dit que le sacerdoce de Vénus est de lier les mâles et les femelles. Cependant, malgré sa légendaire célébrité à travers l’Europe, personne n’a jamais aperçu cette déesse si mystérieuse et controversée. Alors, laissons notre esprit divaguer et interrogeons-nous sur ce que les personnalités de l’Olympe bricolent en ce moment. Et si Vénus, se prélassant dans un divan molletonné, bouquinant un recueil d’odes de Verlaine, était en train de s’étouffer en apprenant qu’un mot de la langue française fut créé à partir de son nom ?
Alors, ce mot, vous l’avez peut-être déjà deviné (que vous êtes perspicace !), c’est le très beau latinisme vénusté. Et l’extrait que notre déesse parcourt au moment où je vous écris, il est tiré des vers d’un poème amoureux de Paul Verlaine, et il s’agit de : « J'aime tes yeux pour leur liesse/Et ton corps pour sa vénusté » (Dédicaces, XLI, dirigé à une certaine G***). Cet extrait aura peut-être un peu éclairé votre lanterne sur ce terme magnifique qu’est vénusté. Il s’agit de la grâce innée ou l’élégance particulière que possèdent certaines personnes, bien que cela soit entièrement subjectif, et que chacun a, à sa façon, une grande vénusté. Bernardin de Saint-Pierre, dans Paul et Virginie, donne une définition assez plaisante de ce mot ; selon lui, il s’agit d’« une portion de cette beauté ineffable qui engendre les amours », et je ne saurais faire mieux que lui. L’alexithymie, voilà ce que ressent Verlaine envers cette G***. (J’aurais bien pris le temps de vous parler du mot alexithymie, mais je vais seulement vous en donner une rapide définition : l’alexithymie est l’incapacité de poser des mots sur des émotions).
Bon, à présent, il est temps de mettre un terme à cette chronique infinie. Et pour cela, j’aimerais ne pas vous faire de morale, mais seulement vous rappeler quelque chose qu’il est essentiel de savoir pour ne pas passer à côté de sa propre vie. Et je profite de l’opportunité du mot du jour pour le faire. Ce n’est pas la peine de dépenser son temps, son argent et sa patience juste pour avoir une belle silhouette. Plaire à l’autre ne doit pas être une priorité. Les critères de beauté méritent tous de passer à la poubelle et il devrait y en avoir autant qu’il n’y a de personnes sur cette Terre métissée. Tout le monde, il est joli. Chacun contient en soi une énorme part de cette beauté ineffable, nous sommes tous pleins de vénusté, mais d’une façon différente en fonction de qui nous sommes. Et la vénusté intérieure, comme on l’appelle, doit elle aussi être entendue et reconnue. Et de toute façon, atteindre l’éther n’a jamais été possible, donc aucune âme ni aucun corps ne sont parfaits. Croquez la vie à pleine dents, puisqu’il n’y en n’a qu’une seule (enfin, d’après les connaissances scientifiques actuelles) et ne perdez pas ce que vous avez pour devenir plus beau ou belle. Assumons-nous tels que nous sommes et ne nous gâchons pas inutilement, du moment que nous nous auto-plaisons.
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